Il n'y aura donc pas de procès pour le meurtrier de Sarah Halimi. La Cour de cassation a confirmé ce 14 avril l'irresponsabilité pénale de Kobili Traoré et rejeté le pourvoi formé par la famille de la victime contre la décision de la cour d'appel de Paris en décembre 2019. Tout en reconnaissant la dimension antisémite du crime, la cour avait estimé que le jugement du jeune homme était aboli lors du crime sur la base de trois expertises psychiatriques qui avaient toutes conclu à une bouffée délirante aiguë, malgré leurs divergences quant au rôle à attribuer au cannabis sur son état mental.
Les faits remontent au 4 avril 2017 : le jeune musulman âgé alors de 27 ans fait irruption chez sa voisine juive de 65 ans, Lucie Attal - aussi appelée Sarah Halimi. Il la roue de coups aux cris de « Allah Akbar » et en récitant des versets du Coran, avant de la jeter par-dessus le balcon de leur HLM de Belleville, dans l'est de Paris. L'affaire suscite une vive polémique sur l'antisémitisme qui imprégnerait certains quartiers populaires.
Abolition ou altération du discernement
La controverse se cristallise aussi sur la question de l'irresponsabilité pénale, notamment depuis la décision de la cour d'appel de Paris. Si elle s'appuie sur l'un des principes fondateurs d'un État de droit qui veut qu'on ne juge pas des personnes dont le discernement est aboli, de nombreuses personnalités se sont émues du fait que le jeune homme était par ailleurs un fort consommateur de cannabis.
Le 3 mars dernier, les mêmes débats ont ressurgi lors de l'audience devant la Cour de cassation. « Si la consommation est excessive et entraîne une abolition du discernement, l'auteur s'est volontairement mis dans cette situation », a mis en avant devant la Me Julie Buk Lament, soulignant que Kobili Traoré consommait une quinzaine de joints par jour depuis l'âge de 16 ans. Lors de l'enquête, le Dr Daniel Zagury s'était démarqué des six autres experts psychiatres en suggérant de retenir l'altération du discernement, et non l'abolition (qui entraîne l'irresponsabilité pénale), compte tenu de l'« intoxication chronique volontaire ». En vain.
En défense devant la Cour de cassation, Me Patrice Spinosi a martelé que son client ignorait le risque. Il a en outre défendu la nécessité de maintenir une distinction entre l'ivresse, causée par la prise volontaire de psychotropes, aux effets prévisibles, qui laisse une part de discernement, et le trouble psychiatrique inattendu, qui l'abolit. Les dispositions de la loi actuelle ne prennent pas en compte l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de ce discernement, a repris la Cour dans ses conclusions, écartant l'hypothèse de retenir une responsabilité pour une faute antérieure au trouble délirant.
L'avocate générale Sandrine Zientara-Logeay a quant à elle invité la Cour à rester fidèle à ses décisions passées, qui laissent l'appréciation de l'irresponsabilité pénale aux juges du fond. La Cour de cassation juge en effet le droit, et non les faits. L'avocate générale a été suivie. Et Kobili Traoré de rester hospitalisé d'office et sous le coup de mesures de sûreté pendant 20 ans, dont l'interdiction d'entrer en contact avec les proches de la victime et de retourner sur les lieux.
Une loi à revoir
Les avocats du frère de Sarah Halimi ont annoncé leur intention de saisir la Cour européenne des droits de l'Homme. « On peut aujourd’hui fumer, sniffer, se piquer à haute dose au point de provoquer à soi-même une bouffée délirante aiguë, qui a entraîné une abolition du discernement et l'on va bénéficier d'une irresponsabilité pénale », a dénoncé Me Oudy Bloch. Pour Me Muriel Ouaknine Melki, « c'est un mauvais message passé aux citoyens français de conviction juive ».
La Cour « n'a pas voulu changer sa jurisprudence, malgré la pression politique ou médiatique dans cette affaire particulièrement sensible », s'est félicité l'avocat de Kobili Traoré, Me Spinosi.
Il n'en reste pas moins que cette affaire a mis en évidence un « vide juridique » dans la législation actuelle. Comment statuer sur la responsabilité d'une personne quand l'altération ou l'abolition de son jugement est en lien avec une consommation de psychotropes ?
La loi du 25 février 2008 a certes permis que la responsabilité pénale de l'auteur soit débattue publiquement et contradictoirement et que les juges puissent affirmer qu'il existe des charges suffisantes pour dire qu'une personne, bien qu'irresponsable, a commis les faits qui lui sont reprochés. Auparavant, l'irresponsabilité pénale était simplement constatée par le juge d'instruction qui prononçait une ordonnance de non-lieu, un acquittement ou une relaxe, « privant » ainsi les victimes de procès.
Mais début 2020, par moins de cinq propositions de loi ont été déposées pour repenser la notion de responsabilité pénale. Le gouvernement a mis en place une commission de personnalités qualifiées pour évaluer le dispositif actuel, avant d'éventuellement le réformer.
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