Santé et sommeil sont intimement liés. La diminution de la durée du sommeil, en deçà de sept heures, augmente le risque de diabète, d’accident vasculaire cérébral, de maladie coronarienne et d’infarctus du myocarde, ainsi que d’obésité. La santé mentale est également grandement affectée, comme le prouvent désormais de nombreuses études.
« Nous avons montré que 55 % des sujets dormant moins de cinq heures par nuit présentaient des troubles psychiatriques dans l’année, contre 28 % de ceux dormant entre sept et huit heures, et 48 % de ceux dormant plus de neuf heures. En ce qui concerne la prévalence des tentatives de suicide, le taux de prévalence sur l’année est de 11 % à moins de 5 h de, versus 3 % pour 7-8 h de sommeil », explique le Pr Pierre Alexis Geoffroy (Hôpital Bichat, AP-HP).
Sommeil et dépression
Ces résultats ont été confirmés par une étude réalisée sur la cohorte de Zurich : environ 600 sujets, représentatifs de la population générale, ont été suivis durant 30 ans (1). Les troubles du sommeil, quel que soit leur niveau de sévérité, permettent de prédire la suicidalité chez ces individus.
Une autre étude, réalisée aux États-Unis à partir de la deuxième vague de la National epidemiologic survey on alcohol and related conditions (Nesarc), portait sur les plaintes de troubles du sommeil chez 3 773 participants souffrant de troubles dépressifs (2). Elle a confirmé que la plainte relative au sommeil est bien le critère définissant l’épisode dépressif caractérisé. Dans cette cohorte, 92 % des patients souffraient d’insomnie (85 %) et/ou d’hypersomnie (48%).
Mais quelle est la relation temporelle entre les troubles du sommeil et les idées de suicide ? Une étude australienne, sur 51 sujets, s’est intéressée aux idées suicidaires survenant le lendemain d’une mauvaise nuit (3). Une courte durée de sommeil (mesures objectives et subjectives) et une mauvaise qualité de sommeil permettaient dans ce travail de prédire la sévérité des idées suicidaires le jour suivant.
Une métaanalyse, conduite à partir de 18 études réalisées de 1997 à 2019, chez 200 000 patients souffrant de dépression, confirme que la présence de troubles du sommeil multiplie par 2,45 le risque de conduites suicidaires (4).
Les troubles du sommeil — difficultés d’endormissement, réveil matinal précoce et hypersomnie — sont un facteur de risque de pensées suicidaires dans tous les troubles psychiatriques : dépression, anxiété, troubles bipolaires, troubles de l’alimentation, troubles de la petite enfance (5).
Les cauchemars, meilleurs facteurs prédictifs
Une étude réalisée chez 100 adolescents ou jeunes adultes (23,6 ± 11 ans) présentant des troubles psychiatriques a révélé que 34 % d’entre eux rapportaient des cauchemars fréquents (≥ 1/semaine), associés à une plus grande insomnie, aux symptômes anxieux et dépressifs (6).
Ainsi, la sévérité et la fréquence des cauchemars pourraient prédire les idées suicidaires. Mais qu’en est-il de leur contenu ? Les équipes du Centre Chronos ont cherché à différencier les mauvais rêves (rêves dysphoriques) et les cauchemars (mauvais rêves qui réveillent le dormeur) et à identifier la présence éventuelle du scénario suicidaire dans les rêves (7). Les participants à l’étude ont été recrutés entre janvier et mai 2021 dans une unité post-urgence psychiatrique pour une crise suicidaire (pensées et tentatives). 80 % (n = 32/40) des patients ont présenté des altérations du sommeil avant la crise suicidaire, dont 67,5 % avaient des mauvais rêves, 52,5 % des cauchemars et 22,5 % des scenarii suicidaires au cours des rêves.
« Il s’agit de la première étude à observer et à mettre en évidence la progression du moment et du contenu de l’altération des rêves, associée à la progression de la crise suicidaire », souligne le Pr Geoffroy. Les mauvais rêves apparaissent en moyenne 111 jours (environ 4 mois) avant la crise suicidaire, puis évoluent vers des cauchemars 87 jours (environ trois mois) avant la crise. Et, environ 45 jours avant une tentative, le scénario des rêves a commencé à évoluer vers des mises en scène mentales de scénarios suicidaires.
« Actuellement, les altérations du sommeil ne font pas partie des facteurs de risque à rechercher dans la crise suicidaire, rappelle le Pr Geoffroy. Mais interroger les rêves et leur altération récente (mauvais rêves, cauchemars) est simple à réaliser en pratique. C’est un signal d’alerte important de la crise suicidaire et une perspective de prévention. »
Exergue : « Une perspective de prévention simple à mettre en pratique »
Symposium organisé par la section Sopsy de la Société française de recherche et médecine du sommeil (SFRMS) et l’AFPBN (1) Rössler W. et al. Frontiers in psychiatry 2018(9)320 (2) Geoffroy et al. J Affect Disord. 2018 Jan 15;226:132-41 (3) Littlewood D et al. Psychol Med. 2019 Feb;49(3):403-11 (4) Wang W et al. BMC Psychiatry. 2019 Oct 17;19(1):303 (5) Stubbs B et al. J Psychiatr Res. 2016 Nov;82:149-54 (6) Akkaoui A. et al Psy Clin Neuros 2022(76)3:89-91 (7) Geoffroy PA et al. J Clin Psychiatry. 2022 Nov 23;84(1):22m14448
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