La ciclosporine topique avait fait l’objet d’une première étude dès 1997, à faible dose dans la sécheresse oculaire. Depuis, elle a fait ses preuves que ce soit par voie locale ou orale dans les kératoconjonctivites, les uvéites et la greffe de cornée pour éviter le rejet. Les arguments sont bien moins probants dans le dysfonctionnement des glandes de Meibomius, les atteintes herpétiques, etc.
Cercle vicieux sécheresse/inflammation
La sécheresse oculaire doit être considérée comme une cascade biologique auto-entretenue, du manque de larmes vers le stress osmotique associé à un stress mécanique, qui provoquent une dégénérescence de la surface oculaire, qui elle-même stimule les nerfs cornéens pour finalement aboutir à une inflammation détruisant les systèmes lacrymaux, rajoutant un problème lacrymal supplémentaire. Ce qui permet de comprendre pourquoi la sécheresse oculaire ne guérit pas, même quand on a supprimé une cause.
La sécheresse oculaire ne guérit pas, même quand on a supprimé une cause
L’inflammation, même lorsqu’elle n’est pas évidente, est toujours présente. Elle est d’origine multiple : auto-immune, hyperosmotique, mécanique, neurogène, parfois intriquée, avec l’effet iatrogène de certains collyres ou interventions.
Pour lutter contre, l’arsenal thérapeutique comportait jusqu’ici les corticostéroïdes (CS) avec leur risque au long cours, les AINS (épithéliotoxiques), la doxycycline, la minocycline, l’azithromycine per os ou topique, la supplémentation en acides gras essentiels et antioxydants.
Indications variables dans les syndromes secs
La ciclosporine en topique a montré une réduction de l’inflammation et une normalisation des mucocytes dans différents syndromes secs, agissant aussi bien sur la sécrétion lacrymale que plus globalement sur la surface oculaire. « Les études ont montré une amélioration de l’inflammation dans les kératites, avec cependant une rechute dans 35 à 50 % des cas, de six à 12 mois après l’arrêt du traitement », remarque le Dr Christophe Baudouin (Paris). Mais, en France, en dehors d’une forme hospitalière pour des indications très particulières comme les greffes de cornée, on ne dispose que de l’Ikervis pour les kératites sévères liées à une sécheresse oculaire — mais déremboursée dans cette indication — tandis que la même formule sous le nom de Verkazia n’est approuvée que dans les kératoconjonctivites vernales (KCV) !
Ces topiques entraînent peu d’effets indésirables, en dehors d’une irritation lors de l’instillation ; il n'y a pas ou peu de passage systémique. Les patients doivent cependant être prévenus que ce traitement de fond peut être inconfortable au début, et demande du temps pour être efficace. Une courte corticothérapie locale au début peut accélérer l’effet. On espère disposer dans cette indication d’autres formulations de ciclosporine, mais aussi du tacrolimus et peut-être d’un anti-TNFα.
Prévenir le risque de carcinome conjonctival
La ciclosporine par voie orale a des effets secondaires majeurs ; sur le plan oculaire, elle pourrait entraîner une tumeur rare, le carcinome conjonctival (CC), favorisée par la coexistence d’une infection à VIH ou HPV. « Même s’il n’a jamais été clairement démontré que la ciclosporine topique puise induire une telle tumeur, elle est contre-indiquée en cas d’antécédent de CC. L’examen avant toute prescription et le suivi incite à la prudence en cas de dysplasie conjonctivale, fréquente dans les atopies sévères », explique la Pr Nathalie Cassoux, oncologie oculaire, Institut Curie (Paris).
Sévérité des kératoconjonctivites vernales
L’allergie oculaire concerne 25 % de la population, certaines KC allergiques ou KCV peuvent être cécitantes. La KCV débute généralement avant 10 ans, le plus souvent chez les garçons. Elle est rare : de 0,7 et 3,3 cas sur 10 000 habitants en France, avec 0,8 complications cornéennes pour 10 000 personnes.
Vu la iatrogénicité des CS, la mise à disposition de la ciclosporine était très attendue. Connue depuis 1980, l’Ivektis a été approuvé en 2012 aux États-Unis, en 2018 en Europe, pour être mise sur le marché en 2020. « Elle est indiquée dans les KCV sévères, récidivantes, à risque de corticodépendance (1). Elle a montré son efficacité pour diminuer les complications, réduire la corticodépendance et améliorer la qualité de vie de l’enfant », détaille la Pr Dominique Bremond-Gignac (Hôpital Necker). Le tacrolimus semble être une bonne alternative à la ciclosporine, avec une efficacité similaire. Des biothérapies comme l’omalizumab sont à l’étude.
Pronostic transformé dans les uvéites non infectieuses
« Les immunomodulateurs ont considérablement amélioré le pronostic des uvéites, mais le risque infectieux impose une coopération étroite avec les internistes », insiste le Pr Bahram Bodaghi (Pitié-Salpêtrière).
Les uvéites ont de multiples étiologies. Les corticoïdes par voie générale constituent généralement le traitement de première ligne mais le risque de corticodépendance ou de corticorésistance a rendu nécessaire le recours à d’autres agents, comme la ciclosporine, le tacrolimus ou le sirolimus, et maintenant les anti-TNFα et anti-interleukines.
Dans la maladie de Behçet, en cas d’uvéite l’Eular recommande azathioprine, ciclosporine, interféron-α ou anti-TNF-α, les CS systémiques ne devant uniquement être prescrits en association avec les autres immunosuppresseurs. Un épisode d’uvéite aiguë menaçant la vue sera traité par de hautes doses de CS, d’infliximab ou d’IFN-α. L’injection intravitréenne de CS est une bonne option si l’exacerbation est unilatérale, en association au traitement systémique.
Le tocilizumab et les anti-TNF-α ont aussi fait leurs preuves dans les uvéites réfractaires liées à un œdème maculaire cystoïde.
(1) Recommandations disponibles sur le site de la HAS : https://www.has-sante.fr/jcms/p_3382572/fr/la-keratoconjonctivite-verna…
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