Pour les femmes en situation de handicap, le respect du consentement lors des examens gynécologiques et ceux touchant à l’intimité renvoie à une dimension particulière, tant elles connaissent au quotidien un envahissement de leur espace intime. Elles « sont souvent traitées comme des objets de soin. Elles ont l’habitude d’être manipulées sans leur accord, pour être habillées, pour des soins ou des traitements, et peuvent ne pas être conscientes des violences subies », résume Isabel da Costa, vice-présidente d’APF France Handicap.
Cette spécifité, associée à une dépendance, à l’isolement et/ou à des difficultés de communication, tend à surexposer ces femmes aux violences sexuelles. En 2020, un rapport de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees, ministère de la Santé) montrait l’ampleur du phénomène : 1,9 % des personnes déclaraient avoir subi des violences sexuelles au cours des deux années précédant l'enquête, contre 0,8 % des personnes valides.
Pour les seules femmes handicapées, 16 % déclarent avoir été violées, selon une enquête Ifop pour l’Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (Ladapt), publiée en novembre 2022. Les femmes avec un handicap psychique sont même 33 % à dire avoir été violées, contre 9 % pour l'ensemble des femmes, valides et handicapées.
Vers un renforcement du dispositif Handigynéco
Afin de mieux protéger ces femmes, le gouvernement a annoncé le 8 mars une série de mesures dans le cadre d’un plan quinquennal en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Est notamment prévu un renforcement du dispositif Handigynéco, lancé en 2018 pour améliorer l’accès aux soins gynécologiques, à la prévention et à l’information sur la vie affective et sexuelle.
Expérimenté depuis 2019 en Île-de-France, il permet à des sages-femmes d’intervenir directement en établissements médico-sociaux (EMS) pour des consultations de gynécologie, mais aussi pour animer des ateliers sur la vie affective et sexuelle. Ouvert cette année en Normandie, il sera bientôt disponible en Bretagne et le gouvernement prévoit sa généralisation sur l’ensemble du territoire à partir de 2024. Le dispositif devrait aussi être doté de nouvelles missions : la sensibilisation à la notion de consentement et la détection des violences sexistes et sexuelles.
Mais le dispositif semble sous-dimensionné au regard des besoins et de l’éloignement des consultations gynécologiques des femmes en situation de handicap. Pour l’heure, en Île-de-France, « 38 EMS adhèrent à la démarche Handigyneco et 15 sont en cours d’engagement. En revanche, certains départements restent peu ou pas couverts : l'Essonne ne bénéficie de l’intervention d’aucune sage-femme et seulement deux dans le Val-de-Marne, deux dans les Yvelines et une dans le Val-d’Oise », explique Fabrice Boudinet, responsable du Pôle accueil familles de l’AFM-Téléthon, rappelant également que le dispositif repose sur le volontariat des sages-femmes, dont la formation n’est pas rémunérée. « Cet appui sur les établissements n’est pas pérenne et ne concerne pas les femmes vivant à domicile », ajoute Isabel da Costa.
L’étude « Handigynéco-IdF », menée en 2017 par l’agence régionale de santé (ARS), a pourtant mis en évidence les lacunes du suivi gynécologique dans cette population. Seules 58 % des femmes handicapées et 44 % de celles en établissement déclarent avoir un suivi gynécologique régulier, contre 77 % des femmes en population générale. La grande majorité (85,7 %) déclare ne jamais avoir eu de mammographie et un quart (26 %) ne jamais avoir eu de frottis.
Mise en place de consultations blanches sans examen physique
Cette situation résulte de plusieurs facteurs. « Il est souvent insinué qu’elles n’ont pas de vie sexuelle et qu’elles n’ont pas besoin de suivi », pointe Isabel da Costa. Mais les entraves sont également physiques, les cabinets et les tables d’examen n’étant souvent pas accessibles.
Ces consultations demandent aussi un accompagnement et une organisation spécifiques. « Les personnes peuvent avoir besoin d’aide pour être déshabillées, placées sur la table d’examen, rhabillées », souligne la vice-présidente d’APF France Handicap. Cette contrainte est souvent incompatible avec les pratiques. « Des reproches sont formulés aux patientes qui n’annoncent pas leur handicap lors de la prise de rendez-vous, rapporte-t-elle. Mais quand c’est annoncé, ce n’est pas forcément pris en compte avec un temps de consultation plus long. »
Ce temps contraint pénalise aussi l’effort de pédagogie nécessaire. « Quand la patiente souffre de troubles cognitifs ou d’autisme, le recueil de consentement réclame une attention particulière. Et on peut parfois être frappé par le manque d’adaptation du discours au niveau de connaissance qu’a la personne de son corps », constate Fabrice Boudinet.
Les associations plaident ainsi pour la mise en place de « consultations blanches ». Ces rendez-vous gynécologiques sans examen physique doivent permettre une première prise de contact, une mise en confiance des patientes et une attention plus particulière à leur vie affective et sexuelle et à la question du consentement.
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