Société et Santé 3 à 10 % des plus de 60 ans vivant chez eux ne sont pas autonomes. Si le maintien à domicile des personnes âgées constitue aujourd’hui un sujet socio-économique majeur, il reste avant tout un problème médical. Le sujet est complexe en raison des comorbidités, des risques iatrogènes et liés à son environnement. Avec à la clé des enjeux humains pour le patient et les proches.
Pour les plus de 55 ans, c’est la priorité des priorités ! D’après un sondage* d’août 2018, bien vieillir c’est avant tout « rester autonome » pour 87 % des personnes interrogées, loin devant « avoir une vie sociale active » (36 %) et la notion de « parfaite santé » (35 %). En 2015, on estimait que 3 à 10 % des personnes âgées de plus de 60 ans vivant à domicile (Drees 2017), étaient dépendantes selon des critères définis (GIR, indicateurs de Kats ou de Colvez). Parmi les 60-74 ans, les femmes étaient un peu plus touchées par la perte d’autonomie à domicile. Mais c’est surtout après 75 ans que cette différence fut observée : l’écart de prévalence variait de plus de cinq points pour des niveaux de dépendance modérée (GIR 3-4), entre les femmes (18,1 %) et les hommes (12,5 %). à côté d’une prise en charge à domicile, la perte d’autonomie peut aussi conduire à une institutionnalisation. En 2015, 728 000 personnes fréquentaient un établissement d'hébergement pour personnes âgées ou y vivaient.
Parce que ce sujet est avant tout sociétal, le ministère de la Santé a lancé une vaste concertation sur le grand âge et l'autonomie, auprès de plus de 200 participants, professionnels du secteur et issus de la société civile (lire l'interview du Pr Bruno Vellas, président du Comité scientifique de cette concertation).
Point de rupture
Pour comprendre comment une personne âgée bascule dans la dépendance, en gérontologie on s’appuie toujours sur le concept modélisant « 1+2+3 » du gériatre Jean-Pierre Bouchon défini dans les années 80. Le point numéro 1 correspond aux effets du vieillissement physiologique réduisant progressivement la « réserve fonctionnelle ». Le point numéro 2 est lié à une ou plusieurs maladies chroniques incapacitantes qui entraînent une perte de fonction. La probabilité de ces pathologies – affections neurodégénératives par exemple – augmente avec l’âge. Le 3 correspond à la survenue d’un événement aigu de décompensation : une affection subite ou un problème de iatrogénie, généralement réversible ou qui pourrait être prévenu. Un exemple est la trop grande charge anti-cholinergique d’origine médicamenteuse (lire ici). Pour le Dr Gilles Albrand (unité d’évaluation gériatrique approfondie, chef de service de gériatrie au centre hospitalier Lyon-Sud des HCL) : « Aujourd’hui, quand on évalue ce qui engendre une dépendance, les premiers responsables sont une pathologie ou un cortège de pathologies, mais pas tellement le vieillissement. »
Que retenir de la fragilité ?
En gérontologie, différents critères médicaux sont liés à la dépendance. Parmi ceux-ci, la fragilité est aujourd’hui une notion dont on parle beaucoup. Même si aucune définition ne fait encore l’unanimité, ce syndrome peut être considéré comme la conséquence clinique du déclin des fonctions physiologiques au cours du vieillissement. « Une personne âgée considérée “fragile”, en raison de son vieillissement naturel avec une ou plusieurs maladies chroniques, sera plus à risque décompensation à l’arrivée d’une pathologie aiguë », explique le Dr Albrand. Ce qui rejoint le concept défini par Jean-Pierre Bouchon il y a quelques années. Pour le Dr Gilles Albrand, « en médecine générale, il est important de détecter une dépendance par une démarche pro-active, en posant au patient des questions précises sur sa mémoire, ses tâches quotidiennes, etc. ». Ce spécialiste regrette qu’en pratique, il existe aujourd’hui une confusion entre les notions d’autonomie et de dépendance. La première est la capacité de pouvoir prendre des décisions circonstanciées. Elle peut être entravée par des pathologies d’ordre cognitif ou psychique. Alors que la dépendance correspond au recours d’un tiers pour effectuer des tâches quotidiennes et peut être liée à une pathologie, des séquelles de traumatismes, etc.
Évaluer la dépendance
Il existe différents outils pour évaluer une dépendance, « mais il ne paraît pas utile de faire cette évaluation par des tests, le généraliste a déjà fort à faire avec d’autres outils pour beaucoup de pathologies. En revanche, il faut questionner les personnes et leur entourage », explique le Dr Albrand. Pour les activités quotidiennes, il faut chercher à savoir si le patient est capable de se débrouiller seul, comme l’a défini Katz dans les années 60, sur six activités courantes : être continent, aller aux toilettes, se lever seul de son lit, s’habiller, se laver et manger seul. Il est aussi utile d’évaluer les critères définis par Lawton concernant la gestion des tâches domestiques (linge, maison, courses, cuisine), budget, transports, médicaments et téléphone. Si la personne ne peut réaliser seule une de ces tâches, elle peut être considérée comme dépendante. Il n’est pas non plus utile d’avoir des outils sophistiqués pour mesurer la force musculaire. « Le simple fait de savoir que le patient a récemment maigri peut être un signe de fragilité », explique le Dr Albrand. Aujourd'hui, les différents indicateurs évaluant la dépendance sont surtout nécessaires pour les publications et la recherche. Le GIR est utile d'un point de vue médico-administratif.
Comme le souligne aussi le Pr Gérard Amarenco au sujet de l’incontinence chez les personnes âgées (lire ici), le Dr Albrand insiste sur l’importance d’un diagnostic chez les patients pour lutter contre la dépendance : « Il est dommage de découvrir tardivement un cancer colique métastatique chez un patient anémique depuis plus d’un an et que l’on n’a pas sérieusement exploré. » Et en cas de difficulté, le médecin ne doit pas hésiter à déléguer, à s’appuyer sur un réseau de spécialistes.
Ce qui gêne surtout les médecins
D’après un récent sondage*, pour les médecins généralistes, les principales problématiques engendrées par la prise en charge des personnes âgées sont liées à la polymédication (83 %) et au risque de iatrogénie (77 %). L’accompagnement social et administratif arrive en troisième position (66 %). Le traitement de la douleur est jugé problématique pour près d’un tiers des praticiens.
* Sondage AA/Pfizer. 24 juillet - 1er août 2018