Depuis 2010, le dépistage du diabète gestationnel est préconisé en début de grossesse chez les femmes à risque, avec des seuils pathologiques abaissés. Destinée à limiter les complications foeto-maternelles, cette stratégie est accusée d’avoir fait bondir la prévalence de la maladie, sans bénéfice clair. Deux études présentées au congrès de la Société francophone du diabète ravivent le débat.
Le diabète gestationnel (DG) se définit comme une anomalie de la tolérance au glucose, conduisant à une hyperglycémie de sévérité variable, survenue ou reconnue pour la première fois pendant la grossesse. Une définition qui inclut non seulement l’intolérance transitoire au glucose liée aux modifications hormonales pendant la grossesse et disparaîssant après l’accouchement mais aussi un authentique diabète préexistant, généralement de type 2, révélé lors de la grossesse et persistant après l’accouchement.
En 2008, l’étude Hapo avait mis en lumière l’association entre l’hyperglycémie maternelle et les complications périnatales, même pour des chiffres inférieurs à ceux d’un diabète vrai. Deux études de cohorte avaient par ailleurs montré qu’en l’absence d’un retour à l’équilibre glycémique, la morbidité maternelle et foetale augmentait même pour des DG modérés, et que les complications étaient plus importantes en cas d’anomalie glucidique précoce. Les complications sont à type de macrosomie, dystocie des épaules, prématurité, détresse respiratoire, hypoglycémies à la naissance, risque de surpoids ou d’obésité à distance chez l’enfant, et de césarienne, éclampsie, toxémie gravidique, survenue d’un DT2 ou d’HTA sur le long terme chez la mère.
Un dépistage précoce mais ciblé
Cela a amené l’IADPSG (International Association of Diabetes and Pregnancy Study Groups) à proposer en 2010 de nouveaux seuils pour le diagnostic de DG, soit une glycémie à jeun (GAJ) ≥ 0,92 g/l et/ ou une glycémie 1 h après HGPO ≥ 1,80 g/l et/ou ≥ à 1,53 g/l 2 heures après. Par ailleurs, l’IADPSG a introduit la notion de dépistage précoce dès la première visite prénatale.
Ces guidelines ont été endossées par les sociétés françaises de diabétologie, d’obstétrique et de néonatalogie qui proposent un dépistage précoce ciblé, avec une GAJ systématique dès le premier trimestre chez les femmes enceintes présentant au moins un facteur de risque (IMC > 25, âge > 35 ans, antécédents de diabète chez les apparentés au premier degré, de DG ou de macrosomie lors d’une précédente grossesse), puis réalisation d’une HGPO entre 24 et 28 SA.
Ces nouveaux critères ont conduit à une augmentation de la prévalence du DG (6,4 % des grossesses en 2011 en France métropolitaine, 9,3 % en 2014), en grande partie liée à l’augmentation du nombre de DG précoces (30 à 40 %).
Une surmédicalisation des grossesses
Or, selon les recommandations, ceux-ci requièrent une prise en charge immédiate, avec rééquilibrage hygiéno-diététique, auto-surveillance glycémique, et dans un tiers des cas une insulinothérapie. D’où une médicalisation précoce de la grossesse, source de stress, d’altération de la qualité de vie et de surcoût.
« Ce seuil de 0,92 g/l est vraisemblablement trop bas », reconnaît le Pr Anne Vambergue (CHRU de Lille). Dans une étude italienne, 55 % de femmes ayant une GAJ ≥ 0,92 avant 24 SA avaient une HGPO normale à la 24e semaine. Il faut aussi relativiser le risque de complications : le DG augmente la probabilité de prématurité (OR 1,2), de césarienne (OR 1,4), de prééclampsie/ éclampsie (OR 1,6) par rapport aux mères non diabétiques, mais bien moins qu’en cas de DT1 ou de DT2.
Des interventions à l’efficacité non prouvée
Surtout, même si les complications sont plus nombreuses lorsque l’anomalie glucidique est précoce, aucune étude n’a réellement montré que la prise en charge des DG précoces limite les complications. Deux études présentées lors du Congrès de la Société francophone du diabète (Nantes, 20-23 mars), ne retrouvent aucune différence. La première, observationnelle, réalisée chez 8713 femmes à la maternité de Bondy entre janvier 2012 et octobre 2016, a comparé dépistage et prise en charge précoces – même en l’absence de facteurs de risque – à la stratégie standard. Le taux de complications est similaire dans les deux groupes, malgré une insulinothérapie plus fréquente en cas de dépistage précoce (8,6 % vs 5,6 %), y compris lorsqu’on ne retient que les femmes à risque. Les résultats sont identiques dans une seconde cohorte de 2948 parturientes avec facteurs de risques, suivies à Lille entre février 2011 et décembre 2016. Les femmes ayant un DG précoce (dépisté avant 20 SA) ont un IMC plus élevé que les DG tardifs (après 24 SA), une HbA1c plus basse et ont été mises plus souvent sous insuline (41,2 % vs 22,4 %). Mais le nombre de macrosomies est similaire (autour de 17 %) dans les deux groupes. « Le moment du diagnostic et donc celui de la prise en charge ne semble pas modifier le devenir de la grossesse », conclut le Pr Vambergue. « Des femmes devraient être dépistées et traitées précocement, mais nous devons savoir lesquelles, ce qui va être analysé dans un PHRC. »
« Nous devrons revoir les recommandations, avec peutêtre des seuils plus élevés, la mesure de l’HbA1c, des dosages répétés et déterminer le moment optimal pour les faire », renchérit le Pr Emmanuel Cosson (Bondy).
DG PRÉCOCE OU DT2 MÉCONNU ?
Les dernières recommandations insistent aussi sur la nécessité de dépister des DT2 préalables à la grossesse passés inaperçus. Leur prévalence s’accroît avec l’augmentation du surpoids, de l’obésité et de l’âge de la grossesse. On estime que 30 % des DT2 antérieurs à la grossesse seraient méconnus. Ils doivent être recherchés dès la première consultation prénatale chez les femmes à risque et se définissent par une GAJ ≥ 1,26 g/l. En cas de GAJ comprise entre 0,92 et 1,25 g/l, on parle en revanche de diabète gestationnel précoce