Au XXe siècle, et en particulier à partir de la Première Guerre mondiale, l’évolution des techniques de combat démultiplie les traumatismes physiques. Les balles modernes, les grenades ainsi que les combats d’artillerie infligent des blessures d’une nouvelle gravité en raison de la vitesse de pénétration et du souffle accompagnant l’impact. Les éclats d’obus et les shrapnels qui ont un haut pouvoir vulnérant dilacèrent n’importe quelle partie du corps et les brûlures par lance-flammes se multiplient.
Olivier Forcade, professeur d’histoire contemporaine à Paris IV-Sorbonne, rappelle qu’en 1914-18, « 70 % des blessures des 2,8 millions de blessés concernent les membres du corps, dont 15 % pour la tête et le crâne qui étaient tout particulièrement vulnérables ». Ces blessures de la face ne touchent pas seulement les parties molles, mais également le squelette osseux facial ainsi que les organes nobles sensoriels.
Le nombre et la gravité de ces atteintes au visage ont stimulé l’ingéniosité du corps médical de l’époque, à l’instar du chirurgien néo-zélandais Sir Harold Gillies considéré comme le père de la chirurgie plastique et ont permis l’intégration rapide de nouvelles techniques allant des prothèses à l’autogreffe. En outre, tous ces facteurs ont grandement contribué à l’essor de la chirurgie maxillo-faciale qui s’est développée en bordure des champs de bataille. Il aura cependant fallu plus de temps pour qu’une approche médicale des atteintes psychologiques associées à ces mutilations soit pleinement intégrée à la prise en charge de ces patients.
Une régression brutale
Le Pr Marie-Dominique Colas, psychiatre et chef du service de psychologie clinique appliquée à l’aéronautique de l’hôpital Percy (Clamart), est claire : « Quand elle survient, la défiguration est certes une amputation physique mettant souvent en jeu le pronostic vital, mais elle a aussi valeur d’événement psycho-traumatique. Elle dévoile l’informe de la chair, de la mort en mettant en relation le dedans et le dehors et en attaquant le principe même d’humanité ».
L’amputation du visage est une blessure narcissique qui fait vaciller la structure morale et atteint l’être au plus profond de sa dignité. Pour ces personnes, le travail psychologique va alors évoluer en deux temps. « Le blessé doit d’abord se refaire une représentation de lui-même avec une enveloppe protectrice, car il est soumis à une régression brutale vers cette phase archaïque de son développement, quand il n’avait pas encore de perception unifiée de son corps », explique le Pr Colas.
Une greffe symbolique
Face à cet individu qui se découvre comme un objet morcelé et qui est exposé à une double violence, son propre regard et celui d’autrui, c’est justement le regard attentif et la parole des soignants qui vont lui permettre d’exister à nouveau. L’interlocution avec l’infirmière constitue alors la première étape de la reconnaissance sociale.
Au terme de cette première phase, d’une durée aléatoire mais souvent très longue, « le blessé doit accéder à la dimension symbolique de son visage en découvrant de nouvelles identifications ». Grâce au travail conjugué de toutes les équipes médicales et soignantes, le processus de remise en continuité de l’unité somato-psychique du blessé va lui permettre de passer progressivement « de la gueule à la face, puis de la face au visage pour intégrer ce qui peut s’assimiler à une greffe symbolique ».
Face au constat qu’« on ne peut survivre seul à ce type de blessure », le Pr Colas rappelle que la restauration d’une parole qui réinscrit le sujet dans son histoire et la reconstruction d’une nouvelle identité passent par la reconnaissance de l’institution militaire et, plus largement, de toute la société.
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