Ces trente dernières années, de nombreuses publications ont attiré l’attention sur les conséquences de la pollution intérieure (construction, chauffage, PVC) et extérieure (atmosphérique), dont il sera question ici, sur la santé humaine. L’OMS a attribué en 2020 environ 7 millions de décès à la pollution dans le monde : 4,2 millions à cause de l’air extérieur et 3,8 millions par celle de l’air intérieur. Concrètement, 91 % de la population mondiale est exposée quotidiennement à un air pollué, surtout dans les pays à revenu faible, en particulier en Asie.
En France, de 48 000 à 50 000 morts (jusqu’à 100 000 selon certaines études épidémiologiques) par an sont attribués à la pollution atmosphérique, avec un coût évalué à 100 milliards d’euros par an. Et ces chiffres augmentent, avec 20 % de décès supplémentaires attribués à la pollution entre 1990 et 2020.
Un lourd tribut de santé
Plusieurs pathologies ont été répertoriées comme pouvant être provoquées ou aggravées par une exposition, aiguë ou à long terme, à une pollution atmosphérique. Il est devenu évident qu’elles ne se limitent pas à la sphère pulmonaire (asthme, BPCO) mais concerne aussi et avant tout le système cardiovasculaires : mortalité cardiovasculaire (CV), infarctus du myocarde (IDM), insuffisance cardiaque (IC), troubles du rythme, mort subite, accident vasculaire cérébral (AVC). De fait, 70 à 80 % de la mortalité due à la pollution est d’origine cardiovasculaire : 30 à 40 % cardiaque (IDM, IC, arrêt cardiaque), 30 à 40 % par AVC. L'origine pulmonaire représente seulement 11 à 15 % des décès par bronchite chronique et asthme, et environ 6 % par cancer du poumon.
La pollution est le quatrième facteur de risque cardiovasculaire, après l’hypertension artérielle (HTA), le tabac et l’alimentation, mais avant le cholestérol et le diabète.
Les principaux polluants
En France, les principales sources de pollution atmosphérique sont les moyens de transport (routiers, aériens, maritimes) ; la combustion de biomasse (feux de cheminée, agricoles, de jardin, incendie) ; les centrales thermiques (charbon) ; les installations industrielles (chimie, pétrochimie, sidérurgie, fabrication de plastique) et l’agriculture (épandage d’engrais). Elles produisent :
• des gaz : oxydes d’azote (NOx) du trafic routier, aérien, maritime ; composés organiques volatils (COV) de la peinture, solvants, encens, parfums, colle ; CO (transport), SO2 (chauffage, transport) ; hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), notamment le benzopyrène (essence, diesel), qui participent aux particules fines et en font la dangerosité.
• des particules solides en suspension dans l’air, composées de suie, de poussières, de particules d’origine organique et d’HAP. Elles sont classées en fonction de leur taille : PM10 < 10 µm, PM2,5 < 2,5 µm, PM0,1 (ultrafines) et nanoparticules. Leur composition est variable en fonction du type de pollution.
En outre, l’ozone (O3) est un polluant secondaire, résultant d’une transformation par réaction photochimique de précurseurs tels que le NO2 ou les COV. Il est produit par temps chaud et ensoleillé. Cet ozone troposphérique est à différencier de l’ozone stratosphérique, bénéfique pour la santé.
Une revue relève que toutes les études sur les liens entre pollution et mortalité sont significatives, pour tous les types de pollution (PM2,5, PM10, NOx, CO, ozone), avec une association marquée pour le jour du pic de pollution et le lendemain (1). De même pour l’étude européenne Escape (2).
Ces effets nocifs sont hautement dépendants de la nature du polluant, de sa composition chimique, du niveau de pollution, de la pression atmosphérique, d’une sensibilité individuelle génétique et de la température, en particulier des vagues de chaleur.
Dans la maladie coronaire
En aigu, le lien entre infarctus et pollution est établi : l’élévation des PM10 est associée à l’augmentation des admissions pour IDM (3). Une étude du registre Stemi belge (n = 11 428) a démontré une association intensité de pollution-dépendante avec le risque de syndrome coronaire aigu ST+ (Stemi) pour toute augmentation de 10 µg/m3 de PM10, PM2,5 et NO2, avec des OR de 1,026, 1,028, 1,051 respectivement (4). Le risque apparaît plus grand chez les personnes âgées pour les PM2,5, alors que les plus jeunes apparaissent plus sensibles au NO2.
Une méta-analyse française portant sur 117 études effectuées en Amérique et en Europe va dans le même sens, estimant que le risque d’IDM est augmenté de 0,6 % ; 1 % ; 1,1 % et 4,8 % respectivement pour une élévation de 10 µg/m3 de PM10, SO2 ; NO2 ; CO (5).
En 2017, un autre travail montre une corrélation, le jour même du pic de pollution, entre le nombre de patients ayant eu une intervention coronaire pour Stemi (stent, désobstruction) et NO2 (r = 0,205 ; p = 0,001), PM10 (r = 0,349 ; p = 0,0001) et O3 (r = 0,191 ; p = 0,002) (6).
Un travail montre une corrélation, le jour du pic de pollution, entre le nombre d’interventions coronaires pour Stemi et NO2, PM10 et O3
Il n’a pas été retrouvé d’association entre pollution et infarctus sans élévation du segment ST (NStemi), ce qui suggère que l’agent polluant est responsable de la rupture de plaque et facilite la formation de thrombus.
Lors de l’exposition chronique, de nombreuses études montrent une association significative avec les IDM. Dans une large étude européenne, une augmentation annuelle de 10 µg/m3 de PM10 et de 5 µg/m3 de PM2,5 était associée à un surrisque de 12 % et 13 % respectivement.
Cha et coll. ont montré que toute augmentation des PM est associée à une augmentation significative des Stemi, par rapport aux non-Stemi, avec un surcroît de chocs cardiogéniques (7).
Enfin, une étude espagnole a souligné que la pollution chronique, en particulier au NO2, agit sur la récupération en post-infarctus et diminue les effets de la réadaptation à l’effort (8).
Dans l’insuffisance cardiaque
En aigu, une large méta-analyse a montré un surcroît d’hospitalisations et décès par insuffisance cardiaque, associé à une élévation de CO (+ 3,52 % pour une augmentation de 1 ppm), SO2 (+ 2,36 %/10 ppb), NO2 (+ 1,70 % /10 ppb), PM2,5 (2,12 %/10 µg/m3), PM10 (1,63 %/10 µg/m3), mais sans retrouver de lien avec l’ozone (9).
Nous avons publié une étude sur l’impact à court terme de la pollution atmosphérique sur les admissions aux urgences pour insuffisance cardiaque aiguë (ICA) dans la région Paca (10). De 2013 à 2018, 43 400 patients ont été répertoriés (observatoire ORU Paca, incluant 47 centres d’urgence) et analysés selon leur cluster de pollution (campagne, villes côtières de taille moyenne, montagnes, grandes villes côtières, autoroutes, côté ouest). Nous avons trouvé un effet significatif de chaque polluant : PM2,5 (RR + 16 %), O3 (RR + 14 %), PM10 (RR + 13 %), NO2 (RR + 11 %). Nous avons identifié plusieurs courbes d’exposition, selon le type de polluant, l’intensité de la pollution et sa durée.
Au Canada, 5,1 millions de personnes ont été suivies de 2001 à 2015, dont 422 625 en insuffisance cardiaque (11). À chaque augmentation de 10 µg/m3, le RR était de : 1,05 [1,04-1,06] pour les PM2,5, avec une courbe supra linéaire sans seuil retrouvé (ce qui souligne le bénéfice de la réduction de la pollution, même quand elle est faible) ; 1,02 [1,01-1,04] pour le NO2 ; 1,03 [1,02-1,03] pour l’O3, avec un seuil de 48 µg/m3.
L’exposition chronique est aussi associée au risque de décès par IC : + 13 %/+10 µg/m3 moyens de PM2,5. Un travail sur 22 189 infirmières danoises de plus de 44 ans suivies de 1999 à 2014 note un risque accru d’IC : RR = 1,17/+ 5 µg/m3 PM2,5; RR = 1,10/+ 8 µg/m3 NO2 ; RR = 1,12/9,3 dB de bruit ambiant. Les patientes fumeuses et hypertendues étaient les plus vulnérables (12).
Sur les troubles du rythme
Le lien entre troubles du rythme et pollution a été établi plus récemment. Une étude brésilienne retrouve un lien entre fibrillation atriale (FA), flutter, tachycardie atriale, tachycardie ventriculaire (TV) et augmentation en CO, NO2 et PM10 le jour de l’exposition. Mais la position d’expert de Newby signale que la pollution n’a pas d’effet sur le rythme de volontaires sains. Il semble qu’il en soit de même chez les patients porteurs d’un défibrillateur automatique implantable (DAI).
En revanche, le lien entre arrêts cardiaques et pollution est maintenant établi, en particulier avec les PM, et plus récemment avec l’ozone. Cet effet semble indépendant de celui sur l’IDM qui se serait compliqué de FA ou d’arrêt cardiaque.
À Nice, nous avons effectué un travail sur 557 arrêts cardiaques hors hôpital, identifiés comme CV, de mars 2010 à mars 2018 (13). 90 % ont eu lieu à domicile. L’âge moyen était de 75 ans pour les femmes, 68 ans pour les hommes. Toute augmentation de 10 µg/m3 d’O3 était associée à un surcroît d’arrêts cardiaques : OR = 1,12 [1,02-1,25] à 2 heures du pic et 1,18 [1,03-1,35] à 24 heures, indépendamment des antécédents connus. Nous n’avons pas trouvé de lien avec les PM.
Des résultats comparables à ceux d’un registre suédois (14) de 11 923 arrêts cardiaques survenus hors hôpital entre 2006 et 2014, qui note un surrisque de 2 %/+10 µg/m3, 2 heures et 24 heures après le pic, indépendamment des antécédents (voire diminués en présence de FA, suggérant un effet protecteur des bêtabloquants). Il ne retrouve pas non plus de lien avec les PM.
Sur les AVC
En 2019, une étude réalisée dans une région très polluée, à Chengdu, en Chine, avec des taux moyens de 75,9 µg/m3 de PM2,5 sur trois ans, et des pics à 397 µg/m3, retrouve que toute augmentation de 10 points de ces particules, le jour J et le lendemain, provoque un surcroît de 3 % des AVC, surtout chez les femmes et les moins de 65 ans (15).
Dans une région peu polluée au Canada, le surrisque persiste, à + 0,6 %/+5 µg/m3 de PM2,5, et + 4 % NO2 et O3.
Dans une très vaste étude mondiale publiée fin 2024, la pollution était ainsi le 2e facteur de risque d’AVC, après l’HTA, dans le monde ; elle arrivait en 6e position concernant l’Europe occidentale (16).
Physiopathologie
Les mécanismes sont nombreux et les liens entre maladies cardiovasculaires et pollution sont polyfactoriels.
• La pollution atmosphérique est responsable d’une inflammation chronique, avec stress oxydatif et augmentation des marqueurs et de l’inflammation (CRP, fibrinogène, TNT alpha, interleukine).
• Il existe une augmentation du risque thrombotique en cas de pollution, avec augmentation de l’agrégation plaquettaire, en particulier chez les diabétiques.
• Une anomalie de la vasomotricité avec une dysfonction endothéliale avec, là aussi, une sensibilité toute particulière du diabétique.
• Un effet pro-athérogène. L’épaisseur intima-média au niveau carotidien est augmentée dans les zones géographiques très polluées, particulièrement avec les PM2,5 ; de même qu’une augmentation du score calcique.
• Un effet sur les autres facteurs de risque, en particulier sur l’HTA
• Dans l’insuffisance cardiaque, la pollution augmente la fréquence cardiaque, la pression artérielle, les pressions de remplissage et aggrave la vasoconstriction, déjà présente de cette pathologie augmentant, et la pré et post-charge.
• Elle peut favoriser des troubles du rythme ou une insuffisance coronarienne, responsables de décompensation cardiaque.
• La pollution sur le long terme semble également jouer un rôle sur le remodelage du ventricule gauche.
• Elle agit sur le système nerveux autonome qui peut être mesuré par la variabilité de la fréquence cardiaque. Cet effet est probablement à l’origine de l’effet de la pollution sur les arrêts cardiaques.
Effet synergique avec la canicule
Il existe un effet synergique de la canicule et de la pollution de l’air (17). Une étude portant sur neuf villes européennes a montré que l’augmentation des décès de cause naturelle, provoquée par celle de la température, était encore plus prononcée pendant les jours de pollution par l’ozone et par les particules fines (18) : + 1,84 % de décès/+1 °C les jours de faible pollution à l’O3, mais + 2,5 %/+1 °C les jours de pollution à l’O3. De même, pour les PM10: + 2,24 %/+1 °C hors pollution et 2,63 %/+1 °C en pic de pollution.
Une autre étude va dans le même sens, avec un effet immédiat de la chaleur et de la pollution par PM et O3 dans 25 villes italiennes (19) : par augmentation des températures entre le 75e et le 99e centile, la mortalité augmentait de 3,9 % pour les PM basses et 14,1 % pour les PM élevées au Nord ; de 3,6 % à 24 % au Centre et de 7,5 à 21,6 % au Sud. Des résultats similaires ont été constatés pour l’ozone.
En Chine, un travail sur 202 678 patients décédés d’un IDM entre 2015 et 2020 a montré un effet significatif des vagues de chaleur et des PM2,5 sur la mortalité par IDM, en évaluant leur interactivité (20). L’interaction est élevée quand la vague de chaleur est importante et prolongée. Ils estiment à + 2,8 % la mortalité par IDM attribuable à l’interaction vague de chaleur/PM2,5 élevés (> 37,5 µg/m3). Cet effet interactif est indépendant du sexe, de l’âge et du statut socio-économique.
Et l’association pollution/canicule est de plus en plus fréquente : + 2,3 jours annuels/décennie depuis les années 2000, selon une étude européenne publiée en mai (21).
Sur le plan physiopathologique, il semble plausible que les hautes températures accélèrent (ou accentuent) la pénétration des PM2,5 dans l’organisme par la sueur, l’élévation du flux sanguin sous-cutané et l’augmentation de la respiration. De plus, l’effet biologique commun de l’augmentation de l’inflammation et du stress oxydatif peut être synergique chez l’humain.
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