La France va-t-elle pouvoir rester l’un des pays les plus en pointe dans l’accès aux médicaments innovants ? « Il s’agit là d’un enjeu majeur pour nous. Nous sommes en effet face à un tournant important dans l’histoire du cancer avec une innovation très dynamique et, en même temps, des prix qui ne cessent d’augmenter. À titre d’exemple, au niveau international, entre 1995 et 2013, le coût mensuel des anticancéreux a augmenté en moyenne de 10 % par an, ce qui est quand même considérable », souligne la Dr Chantal Bélorgey, directrice « Recommandations, médicaments et qualité de l’expertise » à l’Institut national du cancer (INCa).
Les derniers chiffres sur le coût des traitements figurent dans un rapport de l’Institut national du cancer sur les « cancers en France en 2014 », publié en février dernier. « Les dépenses relatives aux molécules anticancéreuses facturées en sus des prestations d’hospitalisation de court séjour s’élèvent à près de 1,475 milliard d’euros. Après une période de stabilisation, on assiste à une reprise de l’augmentation des dépenses : + 6,6 % entre 2012 et 2013. Dans cette enveloppe on observe, pour la première fois, une stabilité de la part respective des cytotoxiques et des thérapies ciblées alors que ces dernières avaient tendance à augmenter », souligne l’INCa.
Selon ce rapport, les montants des médicaments anticancéreux délivrés en officine c’est-à-dire en ville (chimiothérapie per os, thérapies ciblées per os et hormonothérapie) et remboursés par le régime général seul s’élèvent à 878,8 millions d’euros en 2013, contre 779 millions d’euros en 2011. « Les thérapies ciblées représentent près de 71 % des dépenses d’anticancéreux (inscrits sur la liste en sus) pour le secteur public et 82 % pour le secteur privé commercial », indique l’InCA.
Pour la Dr Bélorgey, il est important de « contextualiser » ce débat sur les prix des médicaments et sur l’accès à l’innovation. « En France, les négociations sur les prix des médicaments peuvent être jugées longues et ce délai s’explique par le système de tarifs régulé et basé sur la négociation, précise-t-elle. Mais cela n’empêche pas un accès rapide à l’innovation pour tous les patients qui en besoin via les autorisations temporaires d’utilisation (ATU). Ce dispositif permet de mettre à la disposition du patient un médicament avant qu’il n’obtienne son autorisation de mise sur le marché (AMM), et avec un remboursement à 100 %. Grâce aux ATU, les médicaments innovants peuvent être accessibles six mois voire un avant l’AMM. Et si le prix payé dans le cadre de l’ATU s’avère au final plus élevé que celui négocié dans le cadre de l’AMM, la firme est tenue de rembourser la différence ».
La Dr Bélorgey insiste aussi sur plusieurs changements de paradigmes dans le domaine de la cancérologie : « le développement des thérapies ciblées qui ne sont efficaces que pour une certaine population de patients parfois étroite. Ainsi, dans le cancer du poumon, telle molécule ne va être efficace que sur un patient ayant au niveau de sa tumeur une mutation donnée. Ainsi les thérapies ciblées pourraient désormais être considérées comme des médicaments de maladies rares, et conduisant à des revendications de prix très élevé », souligne-t-elle. Elle souligne la mise sur le marché des immunothérapies spécifiques, coûteuses en elles-mêmes, et dont l’impact budgétaire est redouté du fait de l’élargissement rapide des populations à traiter et des associations thérapeutiques qui seront éventuellement nécessaires. Elle évoque également l’accélération du développement de certaines molécules. « On voit désormais arriver des médicaments très précocement sur le marché avec des données d’efficacité et de tolérance issues d’études cliniques de phase 1-2, impliquant le renforcement du suivi de l’utilisation en vie réelle des produits. Il s’agit aussi d’un nouveau phénomène. Il faut enfin prendre en compte le fait que ces progrès sont incrémentaux. Pour traiter un patient, il est nécessaire de disposer d’un large éventail de molécules. Et parfois, 3 mois de survie obtenus avec un médicament peuvent être cruciaux pour pouvoir ensuite passer à une autre molécule », indique la Dr Bélorgey.
Pour cette dernière, il faut accompagner cette « explosion » de l’innovation avec une réflexion collective sur le prix des molécules. « Nous avons alerté sur le sujet de l’escalade des prix et de la question du soutien financier. En France, les médicaments du cancer sont accessibles à tous. Le prix élevé des nouveaux médicaments est un sujet d’inquiétude et ne doit pas constituer une menace pour l’accès aux soins. Et il va falloir trouver des solutions pour que tous les patients français, qui ont en besoin, puissent continuer à bénéficier des traitements les plus efficaces ».
Article précédent
La HAS envisage un remboursement innovant
Article suivant
Le patient acteur de l’évolution
L’exemple de la sénologie à l’Institut Curie
Les entreprises du médicament plaident pour la nouveauté
L’inquiétude des associations de patients
Le bel exemple marocain
Petit à petit, ça s’améliore
Un clinicien pour l’innovation
Favoriser le projet de vie des patients
Les pharmaciens, maillon indispensable
Amplifier l’investissement du généraliste
Favoriser un accès plus équitable aux traitements
La HAS envisage un remboursement innovant
L’INCA prône une réflexion collective
Le patient acteur de l’évolution
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024