Les Français subissent depuis de longs mois le poids d’une pandémie qui les a sensibilisés aux problématiques sanitaires, si bien que la santé est devenue la première de leur préoccupation personnelle (37 %), devant le pouvoir d’achat (31 %), la sécurité (28 %), l’environnement (23 %), l’immigration (23 %) ou encore les retraites (22 %). C’est le résultat du Baromètre des territoires 2021, enquête diligentée entre le 10 septembre et le 7 octobre par l’institut de sondage Elabe, l’Institut Montaigne et la SNCF, réalisée auprès de 10 054 personnes représentatives de la population résidente de chaque région administrative métropolitaine. Pour le Dr Claude Pigement, ancien responsable santé du Parti socialiste, « les Français se sentent plus concernés qu’avant puisque l’épidémie les a touchés dans leur vie quotidienne et leur avenir. Leur vie était en jeu ! »
Un autre sondage appuie ce changement de paradigme. L’enquête d’Odoxa pour Onepoint, menée du 18 au 23 novembre 2021 auprès de 3 000 Français, rapporte que 68 % d’entre eux en feront un enjeu clé de leur vote à la présidentielle. Ces derniers pensent d’ailleurs (à 81 %) que le sujet n’est pas bien traité actuellement par les candidats en campagne. La santé est désormais la seconde priorité politique des Français, derrière le pouvoir d’achat – 13 points de plus qu’en 2017.
Une priorité des Français mais pas du politique ?
« Depuis trente ans, la santé est dans les trois premières priorités des Français. L’énigme, c’est que les partis politiques en parlent peu pendant les campagnes présidentielles », pointe Frédéric Pierru, chercheur au CNRS, spécialiste des politiques de santé. Même, raconte-t-il, « les politiques se battent pour ne pas parler de santé ! Un sénateur UMP, à l’époque, me disait : “sur la santé, il n’y a que des coups à prendre”. Pourquoi ? Car le secteur est saturé de gens aux intérêts différents ! C’est un sujet à part, transversal et clivant, en plus d’être technique. »
Pourtant, les élus rapportent une forte demande chez leurs administrés, comme en atteste le Dr Thomas Mesnier, député de la Charente et rapporteur général du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2022 : « L’attente des Français, c’est qu’on change leur vie au quotidien. Ils veulent avoir un médecin généraliste, un spécialiste, près de chez eux ! Mais je n’ai pas le sentiment, et c’est étrange vu la période de ces vingt derniers mois, que la santé soit une priorité dans cette pré-campagne présidentielle. »
Pourtant, les professionnels de santé se sont mobilisés pour alerter l’opinion et le personnel politique. Le 6 décembre dernier, un « appel des 100 » a été lancé dans le magazine Le Point, signé entre autres par une poignée de médecins généralistes tels le Dr Jérôme Marty, président de l’UMFL-S, le Dr Jean-Paul Hamon, président d’honneur de la FMF, ou encore le Dr Michaël Riahi, vice-président des Généralistes-CSMF. Ces 100 soignants et universitaires ont appelé « tous les candidats à la présidentielle 2022 à inclure le bien proprement le plus humain, la santé, dans le débat démocratique ». En outre, ils ont regretté la « crise de l’hôpital public » comme « miroir de la crise de l’ensemble » du système de santé. Pour le Dr Claude Pigement, finalement, « peu de présidentielles se sont jouées sur la santé. Mais en 2022, nous allons en parler ! »
Ce que proposent les principaux candidats
Pour Frédéric Pierru, globalement, « dans les programmes électoraux sortent des mesures qui ne marchent jamais ! On ne tire aucune conclusion des échecs. En revanche, évidemment, tout le monde est d’accord pour augmenter le nombre de soignants ! » En effet, Anne Hidalgo (Parti socialiste) et Valérie Pécresse (Les Républicains) s’entendent sur le chiffre de 25 000 soignants à recruter pendant leur quinquennat.
La première a fait quelques propositions en santé, comme celle de supprimer les agences régionales de santé, estimant qu’elles sont devenues des « agences comptables ». Frédéric Pierru pointe l’incohérence du projet. « Par quoi veut-elle les remplacer ? Avant, il existait toute une mosaïque d’entités appartenant à l’État ou à l’Assurance maladie. Les effectifs étaient dispersés, ce qui engendrait une perte de temps pour la coordination. C’est une proposition purement démagogique. » La maire de Paris avance également la suppression des tarifications à l’acte à l’hôpital et souhaite revenir sur l’Ondam. Le chercheur au CNRS interroge. « Supprimer l’Ondam ? Le vrai sujet, c’est sa contrainte : il faut un Ondam réaliste ! Il est élaboré sans aucune évaluation des données à 20 ans ! Dans les premiers PLFSS, la volonté était d’articuler l’aspect budgétaire à des données épidémiologiques, etc. Aujourd’hui, ce n’est qu’un simple instrument budgétaire, déconnecté des besoins réels. »
De l’autre côté de l’échiquier, Valérie Pécresse, séduite par la proposition du Pr Philippe Juvin, chef des urgences de l’hôpital Georges-Pompidou et désormais son conseiller sur la santé, propose d’envoyer 3 500 jeunes généralistes dans les maisons de proximité à la sortie de leur internat, grâce à « une dotation “lutte contre la désertification médicale” ». Pourtant, un rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) publié début décembre montre que, dans le monde, les incitations financières à l’installation, « largement mises en œuvre », auraient… des « résultats décevants » si elles ne s’accompagnent pas d’un panel d’actions.
L’accès aux soins, priorité absolue
Les candidats parlent peu de la santé, donc, ou en termes très larges, comme Yannick Jadot (Europe Écologie Les Verts), qui promet « un grand plan pour sauver l’hôpital public ». Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) souhaite, de son côté, un « moratoire sur la fermeture de lits » et soutient l’intégration des mutuelles dans la Sécurité sociale, de manière à ce que tous les soins de santé prescrits soient remboursés.
Le polémiste désormais candidat Éric Zemmour fustige, lui, une situation à l’hôpital « digne du tiers-monde » et propose de supprimer l’aide médicale d’État (AME), affirmant, à tort, que « l’hôpital est assiégé par une population venue du monde entier ».
Finaliste de l’élection en 2017, Marine Le Pen (Rassemblement national) s’est emparée du « problème de revalorisation salariale » à l’hôpital et s’est engagée à en faire une priorité : « 10 % de plus que ce que prévoit le Ségur » pour les infirmiers.
Le président sortant, Emmanuel Macron, cherche à faire valoir son bilan et notamment celui du Ségur de la santé : 19 milliards d’investissement, dont 9 sur les rémunérations. Suite à de récents déplacements dans les territoires sous-dotés, il a même reconnu que la lutte contre les déserts médicaux était « le sujet numéro un de nos élus ». Thomas Mesnier, l’une des têtes pensantes de la Macronie en santé, défend les mêmes objectifs que son président : « La priorité numéro un, c’est l’accès aux soins. Et nous avons un bilan, comme le doublement des maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) par exemple. Ensuite, c’est la prévention, avec une focale particulière sur la médecine des enfants, l’autonomie et l’innovation, thérapeutique notamment. »
Le Dr Pigement résume le quinquennat : « Le Ségur de la santé, même insuffisant, est mieux que rien. Ma Santé 2022 a montré ses limites… Le bilan positif est le 100 % santé, avec une réussite pour la filière dentaire et de l’audioprothèse, malgré l’échec de l’optique. Le PLFSS 2022 est courageux, notamment sur la délégation de tâches aux IPA et orthophonistes. »
Mais le chercheur Frédéric Pierru n’est pas du même avis : « 2010-2020 a été une décennie de perdue. Les inégalités de santé sont en déshérence : le taux de pauvreté des enfants est scandaleux. Il faut en finir avec les assurances maladie complémentaires, faire de la santé environnementale et obliger les études d’impact sur la santé de toutes les politiques publiques. »
De son côté, le député Mesnier défend l’idée que « chacun ait accès au bon soin quand il en a besoin. Je souhaite un système avec plus de prévention et moins de curatif, plus de santé et moins de soins, lequel laisse place à l’humain, même derrière des outils technologiques. Et avec, comme pilier du parcours de soins, le médecin généraliste. » La santé, tout un programme !
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