Éditorial

Un mal français

Publié le 18/12/2015
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En cette fin d’année 2015, place à la concorde et à la célébration des valeurs tricolores ! Et fini le french bashing, ce sport national… Un mois après les attentats qui ont ensanglanté sa capitale, la France porte haut ses couleurs et ne craint plus de mettre en avant les spécificités et les succès hexagonaux. Concert unanime, qui rappelle (en plus grave évidemment…) l’état d’esprit de la France championne du monde de 1998, et que même la percée du FN aux élections régionales n’est vraiment pas parvenue à écorner. Liberté, égalité, fraternité… On ne se cache plus désormais pour arborer fièrement devise, drapeau et autres hymnes exaltant la francité.


Dans ce contexte, nos lecteurs nous pardonneront pourtant d’oser dans ce « Spécial santé des Français », un regard un tantinet critique sur notre système de santé épinglé pour ses inégalités. N’y voyez ni auto-flagellation masochiste, ni volonté délibérée de critiquer tous azimuts. Qu’on se le dise, notre médecine reste l’une des meilleures du monde et l’actualité médicale l’a encore démontré cette année : c’est le Pr Alain Fischer honoré de la plus haute distinction scientifique japonaise, c’est le cœur Carmat qui continue son épopée pendant qu’à Nice, on expérimente un test sanguin pour dépister le cancer du poumon et qu’on opère, à Toulouse, à cœur fermé de petits patients cardiaques grâce à une technologie en 3 D… La France reste un laboratoire de l’innovation et ne lésine pas sur les moyens : l’accès aux traitements du cancer et la prise en charge de nouveaux antiviraux à même d’éradiquer l’hépatite C en disent assez sur la performance et la générosité du système.


Et, pourtant, loin des grincheux et des sceptiques, d’éminents experts tirent la sonnette d’alarme. Notre système de santé recèlerait encore trop d’inégalités en son sein pour qu’on se contente d’applaudir son excellence. La critique est d’autant plus embarrassante que la France - quoique championne de l’espérance de vie à la naissance - semble moins équitable que ses voisins. Pire, au fil des ans, les écarts de morbi-mortalité paraissent s’accentuer, en dépit de 15 ans de CMU et d’une décennie de « parcours de soins »… Le constat est dérangeant, bien sûr, pour les acteurs de santé, même si les causes sont surtout organisationnelles, préventives et sociétales. Mais le défi concerne avant tout les décideurs. Marisol Touraine en a fait l’un de ses leitmotivs. Mais il n’est pas dit que les deux grands chantiers du moment - généralisation du tiers payant et de la couverture complémentaire - soient vraiment à la hauteur de l’enjeu.

Jean Paillard, directeur de la rédaction

Source : lequotidiendumedecin.fr