Faut-il y voir un signe ? C’est à nouveau depuis Bercy – et non à Ségur – que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) a été dévoilé. « Ne nous cachons pas, la situation des finances publiques est grave », a cadré d’emblée Laurent Saint-Martin, ministre chargé du Budget des Comptes publics (et rattaché directement à Matignon). Voici ce qu’il faut retenir.
18 milliards d’euros : un déficit qui s’envole !
C’est un nouveau dérapage en forme de choc budgétaire : le déficit de la Sécurité sociale atteindrait finalement 18 milliards d’euros en 2024, selon le projet de budget de la Sécu (PLFSS 2025) dévoilé ce jeudi. Cette nouvelle estimation assombrit encore celle publiée en mai par la commission des comptes de la Sécu, qui avait sonné l'alarme en tablant sur un déficit 2024 de 16,6 milliards d’euros. En 2024, le dérapage du déficit de la Sécu reste plombé par celui de la branche maladie, qui atteindrait cette année 14,6 milliards d’euros (contre 11,4 anticipés au printemps). Hors crise sanitaire, rarement l’écart entre les prévisions et la situation réelle des comptes sociaux aura été aussi marqué. L’erreur s’explique principalement par le « choc inflationniste », qui a lourdement impacté les comptes sociaux, en raison de l'indexation d'un grand nombre de prestations sociales (alors que la dynamique des recettes est plutôt dictée par l'évolution des salaires).
Pour 2025 cette fois, le gouvernement prévoit un « trou » du régime général de 16 milliards d’euros, en incluant toutes les mesures de redressement et de « freinage » du PLFSS. Mais pour atteindre cet objectif l’an prochain, l’effort se révèle massif puisqu’il exige environ 15 milliards d'euros d’économies globales sur la Sécurité sociale (maladie, retraite, chômage, réduction des allègements de charges, niches sociales, etc.).
Ondam à 2,8 % : le risque de sous-financement ?
Du côté des économies sur la santé (environ quatre milliards par rapport à la trajectoire naturelle), les arbitrages traduisent les efforts significatifs réclamés aux différents secteurs avec un Ondam général (objectif national de dépenses maladie) limité à +2,8 % (après +3,3 % en 2024), soit une enveloppe globale de 263,9 milliards d’euros. Certes, le gouvernement fait valoir que cela signifie « 9 milliards d’euros supplémentaires » injectés dans le système de santé, mais ce taux commande en réalité des mesures de freinage et de régulation à tous les étages, compte tenu de la tendance naturelle des dépenses de santé.
L’hôpital hérite (sur le papier) d’un taux un peu supérieur pour la progression de son enveloppe (+3,1%) mais la Fédération hospitalière de France (FHF) a déjà dénoncé une croissance en trompe-l’œil. De fait, ce taux intègre 1,2 milliard d'euros de cotisations retraite du personnel hospitalier que le gouvernement entend imposer à la charge des hôpitaux employeurs (pour venir en aide au régime de retraite des collectivités locales et de la fonction publique hospitalière – CNRACL). En clair, le lobby hospitalier dénonce déjà le risque de sous-financement, alors que les hôpitaux affichent un déficit historique. Un Ondam « insuffisant » fragiliserait selon la FHF des spécialités comme la cardiologie, la neurologie, la rhumatologie et la médecine digestive, « qui sont les plus touchées par un sous-recours en matière de soin et un sous-financement ».
Pour les soins de ville, l’augmentation des dépenses est limitée à 2 %, un taux qui n’autorisera guère de marge de manœuvre, et qui devrait mécontenter les syndicats médicaux, même si cette évolution ne remet pas en cause la série de revalorisations programmées dans la convention médicale. « La consultation passera bien à 30 euros en décembre et nous respecterons tous les engagements de la nouvelle convention », a souligné la ministre de la Santé Geneviève Darrieussecq, qui a mentionné aussi le déploiement des maisons de santé, de la télémédecine et des médicobus. « Sur la médecine de ville, il n’y a pas de mesures cachées de redressement », explique-t-on à Bercy. Pas question non plus de remettre en cause le virage ambulatoire, jure-t-on.
Moindre remboursement des consultations et transfert vers les complémentaires…
C’est une disposition qui avait opportunément fuité dans Les Échos. Le PLFSS 2025 prévoit le transfert vers les complémentaires santé d’une fraction des remboursements des consultations. Ce relèvement du ticket modérateur (sur les consultations des médecins et des sages-femmes) représente une économie de 1,1 milliard d’euros. Si le passage du ticket modérateur de « 30 % à 40 % » est évoqué, en réalité les modalités et le calendrier de cette réforme, à fixer par voie réglementaire, ne sont pas arrêtés. Quoi qu’il en soit, plaide l’exécutif, les personnes en ALD ou les bénéficiaires de la C2S ne seront pas concernées. Interrogée par Le Quotidien, la ministre de la Santé a précisé qu’un travail avec les complémentaires santé serait entamé pour que les probables hausses de cotisations répercutées soient « le plus a minima possible ».
Arrêt maladie : baisse du plafond de prise en charge
Le dossier avait resurgi à la rentrée, à la faveur de la forte dynamique des dépenses d’indemnités journalières, pointée par Bercy et la Cnam (+ 8,5 % au premier semestre 2024). Côté profession, quelque 7 000 généralistes « prescrivant un nombre d’arrêts de travail plus élevé que la moyenne » seront conviés à des entretiens confraternels (depuis septembre et jusqu’à décembre). La Cnam exclut ici toute logique punitive mais défend une démarche d’accompagnement qui a déjà payé.
Côté assurés et/ou entreprises, le gouvernement entend rogner la participation de l'Assurance-maladie au financement des arrêts maladie. Alors que plusieurs pistes étaient sur la table (dont l’extension du délai de carence), l’exécutif a opté pour une « baisse du plafond de prise en charge » des IJ (soit 600 millions d’euros). L'Assurance maladie versera toujours, à partir du 4e jour d'arrêt, une indemnité équivalente à 50 % du salaire journalier, mais dans la limite d'un plafond de 1,4 Smic, contre 1,8 Smic auparavant. Le reste à charge est souvent compensé par les entreprises, mais une partie des Français devront mettre la main à la poche. La crainte pour le gouvernement était de voir ce poste dépasser les 17 milliards d’euros en 2025. Pour la ministre du Travail et de l’Emploi, Agnès Panosyan-Bouvet, « c’est un vrai sujet », d’autant que ce poste n’était que de huit milliards d’euros en 2017.
Fraudes : le serpent de mer ?
Après une année 2023 record pour l’Assurance-maladie, qui a détecté et stoppé plus de 466 millions d’euros de fraudes, le gouvernement entend accélérer. Quelque 1 000 agents supplémentaires seront déployés d’ici à 2027 pour combattre la fraude sociale (+20 % par rapport à 2022), 450 cyber-enquêteurs dotés de police judicaire vont être formés et un crédit d’investissement d’un milliard d’euros sera consacré à un plan de modernisation des systèmes d’information. Le gouvernement entend intensifier la lutte contre les surfacturations des professionnels de santé et les dérives des centres de santé.
Autre mesure déjà annoncée par Michel Barnier : le déploiement conjugué de l’application carte Vitale et de France Identité, de manière à sécuriser l’identification des bénéficières de prestations d’assurance-maladie.
Pertinence : l’imagerie médicale à nouveau sous pression
La radiologie est une nouvelle fois mise à contribution au motif de la « pertinence médicale » des actes. Selon la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR), le secteur serait exposé à des baisses de tarifs à hauteur de 300 millions d’euros sur trois ans, montant qui s’ajouterait aux 180 millions d’euros sur les produits de contraste. Pour 2025, Bercy évoque une économie de 300 millions d’euros « dans le champ de la biologie, de la radiologie et de l’imagerie médicale ». Le gouvernement veut obtenir des engagements pluriannuels. A défaut d'accord de maîtrise dans un certain délai, ou en cas de non respect de l'accord, la loi autorisera les autorités compétentes à procéder « unilatéralement » à des baisses.
Au-delà, le PLFSS devrait élargir un dispositif d’« accompagnement des prescripteurs » (de contrôle ?) qui permet de s’assurer a priori de la pertinence de certaines prescriptions. Autrement dit, « le prescripteur sera immédiatement informé si une prescription n’est pas conforme et elle ne pourra pas être remboursée », peut-on lire. Analyses, imagerie ou bons de transport sont visés (la liste sera définie par décret).
Transport sanitaire : harmoniser les tarifs, optimiser les trajets
Plusieurs mesures devraient cibler l’efficience des transports de patients et la pertinence accrue dans les prescriptions. Le gouvernement cherche également à mieux « harmoniser les tarifs » entre les différents transporteurs pour un même trajet. Surtout, un texte réglementaire devrait enfin voir le jour pour permettre un plus large recours aux transports partagés (en cas de transports itératifs), conformément à ce qui avait été voté l’an passé.
Médicament : un effort à plus d’un milliard d’euros
Le traditionnel volet « produits de santé » devrait procurer 1,2 milliard d’euros essentiellement via les baisses de prix (un milliard sur le médicament et 200 millions sur les dispositifs médicaux). Le gouvernement explique qu’il va en revanche donner davantage de visibilité au secteur en simplifiant le mode de calcul de la clause de sauvegarde (qui permet de réguler les dépenses attribuables). La mesure portée consiste en une réforme de l’assiette de calcul qui sera fondée sur des dépenses en montants remboursés, et non plus en chiffre d’affaires.
Intérim des paramédicaux : tour de vis
Après avoir limité l'an dernier la rémunération des médecins intérimaires à l'hôpital, le PLFSS prévoit cette fois de plafonner, par décret, la rémunération des intérimaires paramédicaux, notamment des infirmiers et aides-soignants.
Recettes : big bang des allègements de cotisations
Le PLFSS est une « première étape de refonte des allègements de cotisations sociales », aujourd'hui concentrés au niveau du Smic, afin d'atténuer le phénomène de trappe à bas salaires, explique Bercy. Selon le gouvernement, pour donner suffisamment de visibilité aux entreprises, cette réforme se fera en deux étapes, en 2025 et 2026. Elle prévoit de remonter les cotisations patronales entre 1 et 1,3 Smic de deux points de pourcentage en 2025, puis de deux points supplémentaires en 2026. Ces cotisations baisseront en revanche pour les salaires compris entre 1,3 et 1,8 Smic et remonteront au-delà. Cette réforme doit rapporter 4 milliards d'euros à la Sécurité sociale.
[article mis à jour jeudi, à 21h]
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