Depuis deux mois, le ministère de la Santé a discrètement confié une mission au Dr Patrick Pelloux, président de L'Association des médecins urgentistes de France (AMUF), sur la prévention de la radicalisation au sein des établissements de santé et médico-sociaux, ainsi que des atteintes à la laïcité.
Dans un communiqué, le Syndicat des Médecins Libéraux (SML) explique regretter que cette mission ne soit conduite qu’en milieu hospitalier. Il s’appuie sur « les récentes affaires des listes de soignants communautaires, des stickers militants apposés sur les cartes vitales de certains patients, les agressions perpétrées contre des médecins de confession israélite, ajoutées aux difficultés croissantes rencontrées par les médecins libéraux installés dans certains quartiers dits "difficiles", ou encore pour y effectuer des visites » pour justifier sa volonté d’extension de la mission.
Contacté, le président du syndicat et stomatologue Dr Philippe Vermesch dresse un constat alarmant de la violence en ville, plus forte encore que la radicalisation. « Depuis la crise sanitaire, l’agressivité dans les cabinets est plus importante. Elle vient souvent d’une population issue de quartiers sensibles. Les gens sont agressifs avec des médecins qui pourtant se donnent la peine d’organiser les vaccinations ! »
Un métier de service public
Pire encore pour lui, la peur qu’éprouvent certaines médecins. « Je connais des femmes qui ne font plus de visites. D’autres, qui, à partir de six ou sept heures en hiver, demandent à leur mari de venir les chercher au cabinet », témoigne Philippe Vermesch. Le problème, selon le stomatologue, est que l’État ne remplit pas son rôle de protection. « Médecin, c’est un métier de service public, au même titre que policier ! »
Le syndicaliste demande un « accès privilégié » pour que les médecins puissent déposer plainte ou une main courante facilement, afin que les auteurs des actes soient « réellement inquiétés », y compris sur les réseaux sociaux, précise-t-il. « Nous ne sommes même pas couverts ! Si je dis ‘’dans ces conditions, je refuse de soigner’’, on peut être convoqué au Conseil et au pénal ! Nous revendiquons aussi le droit de retrait », ajoute-t-il, amer.
Former pour mieux gérer les conflits
Même constat à la Fédération des médecins de France (FMF). Pour le Dr Corinne Le Sauder, présidente, si « les gens sont de plus en plus agressifs, ce n’est pas nouveau ». La praticienne prône des formations pour « calmer les gens », à l’image de ce qui avait été mis en place dans les années 2010. « Dans la région Centre-Val-de-Loire, les secrétaires formés avaient observé une amélioration de leur qualité de vie au travail », raconte-t-elle.
La seule femme à la tête d’un syndicat en veut au gouvernement de ne pas réagir aux drames dont sont victimes les praticiens. « Quand un médecin est agressé, ou pire tué, on a jamais d’appui de notre tutelle, le ministère de la Santé ! Alors que lorsqu’un militaire décède, il a le droit aux honneurs… C’est un manque de considération, alors que derrière chaque médecin, il y a un être humain… »
Le pouvoir de la blouse
De son côté, le président de l’Union Française pour une Médecine Libre-Syndicat (UFML-S) Dr Jérôme Marty préfère relativiser son expérience de radicalisation en ville. « C’est très rare. À titre personnel, cela ne m’est arrivé qu’une fois en cabinet : un mari ne voulait pas que sa femme se déshabille pour que je l’examine. En posant les choses, j’ai réussi à avoir gain de cause. Toutes ces problématiques se désamorcent avec de la logique. » Toutefois ce dernier est très attaché à la laïcité, à l’hôpital, comme en ville. « On a des chartes au sein des établissements, des règlements intérieurs ; il faut veiller à ce qu’ils soient appliqués. »
Le généraliste énonce également le pouvoir de la blouse, qui, selon lui, impose le respect et dicte les rapports dans le soin. « Quand on la met, on est asexué et on est un rempart contre toutes les idées. Nous entrons dans un rapport de soins entre un médecin et un patient, peu importe nos couleurs de peau, nos idées, nos religions… On accepte de faire disparaître tout un pan de notre personnalité ; on demande que les patients en fassent de même. »
Effet boomerang
Pas de surprise sur l’absence des libéraux au sein de la mission pour le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). « Le rapport de Patrick Pelloux ne peut être centré que sur l’hôpital, puisqu’il ne connaît pas la médecine de ville. » Pour lui, la radicalisation dans les hôpitaux est avérée, mais les cabinets ne sont pas exempts de ces problématiques. « L’un des exemples est ce sticker sur les cartes vitales pour refuser des prescriptions de laboratoires israéliens. Avec un médecin lyonnais et l’appui de la LICRA, nous l’avons signalé au Cnom fin mars. »
Le néphrologue est inquiet car il a « régulièrement des remontées de collègues touchés » par des actes de violences ou d'incivilités, ce qui montre selon lui « la dérive de la société française », où « les professionnels de santé, là pour accompagner, soulager et rendre service à la population, n’ont plus le respect ni l’immunité qu’ils devraient avoir. » Aussi, le Dr Ortiz regrette l’effet « boomerang » pour les populations de « quartiers difficiles », lesquelles subissent ce genre de comportements, alors même qu’elles « sont celles qui ont le plus besoin de soins ».
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