Décision et Stratégie Santé. La Commission de la transparence est-elle responsable des difficultés d’accès au marché pour certains médicaments innovants ?
Pr Christian Thuillez. Cette mission est passionnante avec des enjeux beaucoup plus vastes que je ne pouvais l’imaginer. Elle ne se limite pas à la simple évaluation des médicaments. Cette première étape soulève en effet des enjeux éthiques, sociétaux, et même si cela ne concerne pas le périmètre de la Commission de la transparence, économiques. L’activité de notre mission a donc des conséquences larges. L’une d’entre elles est de faire bénéficier les patients des traitements les plus innovants. Cet examen soulève deux problèmes majeurs. En premier lieu, il ne faut pas prendre de retard. Second point, les études fournies ne sont pas toujours à la hauteur des espérances. Elles ne respectent pas une rigueur méthodologique. Ce sont par exemple des études de phase 2, en ouvert, sans comparateur. En vérité, je ne crois pas que nous sommes en perte de vitesse. La demande de nouvelles inscriptions est en effet stable.
Dr Anne d’Andon. On nous reproche de ne pas reconnaître l’innovation. Or, depuis 2013, la Commission de la transparence enregistre une inflexion positive du nombre de nouveaux médicaments.
Pr C. T. De plus, l’innovation n’est pas toujours retrouvée là où la requête est présente. Aujourd’hui, nous faisons preuve de souplesse. Certains développements sont trop rapides. Et des études sont inutilement préliminaires. Une commission se penche actuellement sur une réforme du mode d’évaluation. En cas d’adoption, cela ne sera pas pour autant la révolution. Un changement sémantique est proposé : VTR au lieu d’ASMR*. La grande différence sera qu’on évaluera en premier lieu la VTR qui ressemble à l’ASMR. Les critères devraient être les mêmes. Ce qui conduira à des conclusions proches voire identiques. Les tests sont actuellement menés pour valider ce nouveau mode d’évaluation. On verra comment on le déclinera. Les enjeux sont importants. Le SMR* conditionne le taux de remboursement. À partir de l’ASMR, le CEPS* négocie ensuite un prix. Avec un critère unique, il faudra que l’assurance maladie, le CEPS ne soient pas perdants.
Dr A. D. Ce n’est pas parce que l’on change de critères que l’innovation sera plus ou moins reconnue.
Pr C. T. Cela n’a rien à voir avec la promotion de l’innovation que l’on souhaite accompagner.
Dr A. D. On avance pas à pas. La validation ne dépend pas de la HAS mais du ministère. Nous ne sommes pas les maîtres du calendrier. En attendant, nous avons mis en place des dispositifs qui permettent de raccourcir les délais d’évaluation, l’équivalent des fast-tracks américains, spécifiques des produits innovants. Sur demande de l’industriel, nous instruisons le dossier avant même l’obtention de l’AMM. En 2017, cela a été fait pour un médicament. Deux mois sont gagnés puisqu’on doit rendre un avis sur trois mois. La moyenne de nos délais s’élève à 88 jours. La lenteur de mise sur le marché n’est pas le fait de la Commission de la transparence.
DSS. Comment comprendre qu’il y ait plus d’innovations et de moins en moins d’ASMR I à III ?
Pr C. T. On ne peut pas parler de chute. Aucune ASMR I n’a été attribuée depuis trois ans. Pour les ASMR II, la situation est très variable selon les années. Là encore, aucune ASMR II n’a été octroyée en 2017. Pour les ASMR III, la variabilité est mineure d’une année à l’autre. Huit ASMR III ont été accordées en 2017, sans compter les 23 ASMR IV. Il faut davantage parler de cycles. Cet effondrement supposé des ASMR est une idée fausse. Au-delà des chiffres, nous n’avons pas l’impression d’être plus sévères. Au contraire la situation est stable.
DSS. La HAS à la différence de la FDA n’aurait toutefois pas évolué sur les critères d’évaluation.
Pr C. T. Si nous étions arc-boutés sur les phases III, les trois quarts des produits en cancérologie ne passeraient pas la barre. Nous n’avons quasiment plus de phase III en cancérologie. Elles sont exceptionnelles. Nous évaluons le plus souvent des essais en phase II, ouvertes. Par ailleurs, il nous faut rappeler que la FDA octroie des AMM. La FDA comme l’EMA apprécient la balance bénéfice/risque. Ce qui n’est pas le cas de la HAS. Nous devons évaluer l’apport du médicament, son amélioration du service médical rendu. Nos exigences sont forcément supérieures. S’il faut nous comparer, il faut alors nous « benchmarker » avec nos homologues européens. Aux États-Unis, ce sont les sociétés d’assurance qui effectuent notre travail.
DSS. Mais si une étude de phase III n’est pas réalisée, le médicament serait condamné à obtenir au mieux une ASMR IV.
Pr C. T. Cela est faux. On a octroyé des ASMR III sur des phase II. À condition qu’ils entraînent une amélioration de survie. Nous sommes contraints d’être rigoureux sur des critères précis dans un souci d’équité. Pour autant, les produits en cancérologie sont très avantagés et notamment l’immuno-cancérologie. 70 % des médicaments en oncologie reçoivent une ASMR de I à IV. En cardiologie, le pourcentage tombe à 25 %. Or nous prenons ce risque afin de ne pas priver les patients des innovations. Selon une étude américaine, 57 % des produits ne confirment pas les résultats en phase III. On le voit, nous ne sommes pas psychorigides sur les études de phase III.
DSS. Quelles sont les conséquences pour la Commission de la transparence des nouvelles règles d’inscription sur la liste en sus décidées par Marisol Touraine ?
Pr C. T. C’est un réel problème. La liste en sus est un dispositif très astucieux pour faire bénéficier les patients des innovations thérapeutiques et coûteuses. Le nombre de médicaments inscrits a fortement augmenté au cours des dernières années. Nous regrettons toutefois qu’un mode d’évaluation scientifique indépendant soit utilisé pour financer des médicaments innovants. C’est une dérive de notre évaluation purement scientifique.
DSS. Pourquoi lors de sa réévaluation une ASMR IV a été octroyée à l’Avastin® au lieu d’une ASMR III attribuée lors de la première évaluation ?
Dr A. D. Ce produit était sur la liste en sus depuis longtemps. On a estimé qu'il y avait des comparateurs. Il n’y avait donc plus d’argument à lui laisser un ASMR III dans l’indication du cancer du col. Ce qui l’efface de la liste en sus. On nous a dit attention aux inégalités. Certains hôpitaux continuent de le prescrire, d’autres pas. Mais ce n’est pas notre responsabilité si le mode de financement n’est plus adapté. L’absence de révision régulière est l’un des problèmes de la liste en sus. Dans le package de réformes en cours, ce devrait être l’une des priorités. Des produits y figurent depuis plus de dix ans. Ce n’est franchement pas raisonnable. Autre singularité, s’ils sont inscrits sur la liste en sus agréée aux collectivités, la périodicité de réévaluation n’est pas fixée, à la différence des médicaments de ville contraints de se soumettre sous les fourches caudines d’une réévaluation tous les cinq ans. Il faut un rééquilibrage ville-hôpital.
DSS. Certains acteurs déplorent en sens inverse une inégalité galénique. Les médicaments par voie orale ne sont pas soumis à la contrainte de l’inscription dans la liste en sus.
Dr A. D. C’est un des problèmes que l’on a relevés. De plus, un médicament administré par voie orale n’est pas considéré comme un comparateur alors qu’on le considère comme tel. On en revient au constat déjà établi. Une décision scientifique est utilisée pour réguler un mode de financement. Comment sortir de cette impasse ? En assouplissant par exemple le mode d’inscription qui ne serait plus réservé aux ASMR I à III. Avec une réévaluation plus fréquente, le dispositif ne coûterait pas plus cher. Nous sommes victimes d’un effet boomerang. Au départ, le dispositif est très performant. Mais par souci d’équité, notre évaluation sert à justifier une inscription. Puis on nous renvoie ensuite la balle. Il y a un autre point gênant. Auparavant, les médicaments étaient inscrits en tant que produits pour l’ensemble des indications. Désormais le ministère a décidé de les inscrire par indication. L’idée est légitime. C’est une complication majeure pour les hôpitaux.
Sans attendre les réformes en projet, nous avons mis en œuvre l’évaluation conditionnelle. On accepte de faire un pari même avec une étude avec 30 patients en phase II en ouvert. Mais dans deux ans, une étude plus robuste doit être réalisée à condition que cela soit réaliste. Ce nouveau dispositif est en place alors qu’il n’existe pas dans les textes.
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