La voix de Malika Achoui, infirmière de réanimation pédiatrique et néonatale au CHU de Brest, est claire et posée au bout du fil. Elle raconte sa mission à Gaza, où elle a passé quinze jours fin décembre, avec 14 chirurgiens (digestifs, orthopédiques, gynécologues), des anesthésistes et deux infirmiers. Ils viennent d’Allemagne, des États-Unis, d’Algérie, de France, de Tunisie, de Jordanie…
« On a atterri le 16 décembre en Jordanie, explique Malika Achoui. La frontière avec l’Égypte était fermée, il a fallu passer par Israël, en convoi, avec escorte pour, enfin, entrer dans Gaza. Les premières images étaient terribles. Des ruines à perte de vue. On a traversé la ville de Rafah. Les murs de l’appartement dans lequel on a logé avaient des impacts de balles, des vitres brisées et des portes rafistolées. » Le lendemain, direction Gaza City. En journée, chacun œuvre à sa spécialité dans l’hôpital, l’infirmière soignant les jeunes accouchées et leurs nouveau-nés. En soirée, après les bombardements par l’armée israélienne, les urgences s’emplissent.
« Le premier soir, les sirènes des ambulances retentissent, témoigne Malika Achoui. Deux corps d’enfants atrocement mutilés par les bombes sont déposés. Une petite de 3 ans, recouverte de poussière de gravats, sans blessure apparente, est là, dans les bras d’un adulte. Je me dirige spontanément vers elle. Une consœur m’arrête. Elle est morte. » Malika Achoui ne marquera aucun autre silence au cours de son récit.
État de choc et immense détresse
« Ma première patiente était une petite fille de 9 ans, terrorisée, qui ne me laissait pas l’approcher, se souvient-elle. Elle avait des plaies d’obus au crâne. J’ai parlé à son père, je lui ai parlé à elle, lui ai caressé la joue. J’ai pu rincer et suturer ses plaies. » Tous les soirs, des enfants arrivaient, parfois seuls. « On soignait parfois à même le sol quand il y avait trop de blessés, raconte-t-elle. On manquait de tout, la kétamine était au compte-goutte, des cas qui auraient dû aller au bloc n’y allaient pas. » Un jour, l’équipe a demandé à un jeune de 14 ans de les aider pour un soin à un patient qui demandait qu’on le laisse mourir. « Nous nous sommes aperçus qu’ils étaient les seuls rescapés d’une même famille et que le jeune était au bord du malaise… », rapporte-t-elle.
Nous n’avons pas le temps ni les moyens pour mettre en place les prises en charge nécessaires
Malika Achoui, infirmière (CHU de Brest) partie en mission à Gaza
« Tous ces petits arrivent en état d’immense détresse, poursuit l’infirmière. Ils sont évidemment en état de choc et nous n’avons pas le temps ni les moyens nécessaires pour mettre en place les prises en charge qu’il faudrait. Bien sûr, chaque fois que c’était possible, on leur parlait, on les rassurait autant qu’on pouvait. Il m’est arrivé de suspendre un soin pour un geste, un mot. Mais c’est dérisoire par rapport à ce qu’ils vivent. Ils font des crises de panique, se réveillent la nuit en hurlant. » Des petits qui ont perdu leur famille dans les bombardements restent vivre à l’hôpital, les soignants s’en occupent. D’autres survivent avec l’aide de familles et d’associations. Certains participent aux fouilles pour retrouver les corps de leurs proches. « Qu’adviendra-t-il de tous ces enfants ? », s’interroge-t-elle. Alors que des psychiatres palestiniens ont été tués dans les bombardements d’hôpitaux à Gaza, et même en Cisjordanie, les prises en charge sont d’autant plus impactées.
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