Selon une enquête européenne parue récemment, 80 % des Européens sont prêts à partager leurs données de santé avec leur médecin traitant. Mais ce chiffre s'effondre à 11 % lorsqu’il s'agit de les partager avec les industriels, relate Cyrille Politi (FHF)*. Gilles Bontemps (Cnam) souligne la contradiction suivante : alors que la France dispose des plus grandes bases de données au monde, ces dernières sont peu utilisées et traitées. « À La Pitié, le nombre de lits est recensé, mais pas les codages faits par les hospitaliers. Pire les hospitaliers n'ont pas aucun retour sur ce qu'ils codent et ne sont pas en mesure de se comparer. »
Se comparer
L'interrogation porte sur la plus-value apportée par ces données. Comment faire évoluer ces pratiques pour que les professionnels de santé puissent se comparer entre eux ? Il existe déjà un tel outil pour les chirurgiens qui se base sur les actes CCM. Selon cet expert, quatre facteurs clefs sont nécessaires. D'abord il faut des outils médicalisés et pertinents au niveau des pratiques (élaborés avec les professionnels du soin et les sociétés savantes). Ensuite ces dispositifs doivent être ouverts en open data afin que tous les acteurs aient le même niveau d'information. Autre impératif, ils doivent être ergonomiques, appropriables par tous et benchmarkés.
Nesrine Benyahia, CEO de DrData, décrit la situation sur le terrain : « L'accès aux données pour les industriels est difficile et long. On demande aux patients et aux professionnels de santé de partager, mais pas aux entreprises de santé. Or la data doit être de qualité, conforme et fournie dans un délai raisonnable. » Or, déplore l'experte, une attente de six mois à un an est nécessaire pour obtenir un rendez-vous avec un hôpital. « C'est très frustrant pour nous. Pourquoi nous refuse-t-on l'accès à ces données ? » Les raisons évoquées sont les suivantes. Soit les données n'existent pas ; soit le motif du RGPD et le consentement du patient sont invoqués, soit encore le modèle économique n'est pas lisible. « Pourquoi pas l'adapter au business model des essais cliniques », interroge-t-elle. D'où l'obligation à chaque innovation de repartir à zéro pour l'implanter dans l'hôpital. Cela montre selon elle des divergences de culture importantes entre les secteurs industriel et hospitalier.
Partage
Et quid des règles de partage avec les concitoyens ? interroge Gérard Raymond, le président de France Assos Santé. « Le DMP n'a jamais été partagé, il a surtout été perdu. » Tout a changé en 2019 avec l'instauration par les pouvoirs publics d'une vraie stratégie en numérique en santé. « Nous avons compris qu'avec le digital les patients, surtout chroniques, pouvaient être mieux pris en charge. La loi du 4 mai 2002 a failli capoter car les médecins ne voulaient pas donner leurs informations aux patients. Cela a bien changé depuis lors, et c'est tant mieux. » Et de critiquer le manque de volonté encore marqué des médecins libéraux de partager leurs données alors que les établissements de santé via leurs entrepôts commencent à le faire.
Pour autant, y a-t-il eu des avancées ? Sûrement, selon Alexandre Le Guilcher (Evolucare) pour qui l'arrivée de ChatGPT a éveillé les consciences : « Nous sommes passés à un nouveau monde où la donnée peut désormais être exploitée par l'IA. Pour autant, malgré le nombre d'opportunités qui augmente, nous restons bloqués sur la valorisation de la donnée. » Et d'appeler à structurer la donnée dans un langage standard international. La nouveauté est que la donnée ne sort plus de l'hôpital, elle est travaillée directement en local sur les serveurs de l'établissement. Cela passe par l'apprentissage fédéré. Le reste des réseaux de neurones est ensuite exporté vers l'industriel qui a ainsi la possibilité de transformer les données de plusieurs bases.
DPO
Ensuite, le chemin de croix n'est pas pour autant terminé selon Nesrine Benyahia. Si les données sont structurées et que l'entrepôt dédié possède sa check-list, le manque de ressources notamment en DPO est un autre frein pour s'adapter à la réglementation en perpétuel mouvement. « C'est connu, les hôpitaux ne sont pas toujours connus pour leur agilité, conclut l'experte, même si certains établissements n'ont pas cette peur et parviennent à s'en sortir. »
* table ronde "Pilotage par la donnée de santé et démocratie sanitaire : l'impossible équation?", mercredi 24 mai 2023, Santexpo.
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