De nombreux patients LGBT+ (lesbiennes, gay, bisexuels et trans...), par peur de leur jugement, n’évoquent pas leurs orientations sexuelles avec leur médecin et ont déjà repoussé des soins. Afin d’établir un meilleur dialogue et éviter un défaut de prise en charge, d’aucuns réclament des formations spécifiques pour les généralistes.
En juillet dernier, un généraliste était condamné par la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins de Bourgogne à un mois d’interdiction d’exercice et 1 000 euros d’amende pour des propos homophobes tenus sur Facebook. Le praticien avait relaté avoir loupé l’orientation sexuelle de son patient car il était « plutôt un Monsieur tout le monde » et pas « un homo de type fofolle ». Tentant de se justifier, le médecin avait évoqué des « comportements féminins surjoués », « des intonations vers le haut », des « expressions faciales exagérées » et « une main à 90 degrés en marchant », etc.Si elle relève d’un cas particulier, cette affaire illustre l’embarras dans lequel se trouve parfois le corps médical face à l’orientation sexuelle de leurs patients. En novembre dernier, le Dr Baptiste Beaulieu, généraliste à Toulouse et blogueur, s’était ému, dans une tribune au Huffington Post, des tweets tendancieux d’un confrère. « Faire des blagues homophobes sur Twitter quand on est médecin est grave, c’est un permis de discriminer », a-t-il dénoncé. Récemment, l’étude de deux sociologues, Johanna Dagorn et Arnaud Alessandrin, montre qu’une personne LGBT+ sur deux s’est déjà sentie mal à l’aise dans son parcours de santé du fait de sa sexualité et/ou de son genre. Cette proportion monte à 72 % pour les personnes trans et intersexes. Y a-t-il un problème en France dans la prise en charge des patients LGBT+ par les généralistes ?
GLOSSAIRE
LGBT+ : Lesbienne, gay, bissexuel-le, trans, le + souligne l’inclusion d’autres identités.
Cisgenre : Le sexe assigné à la naissance correspond à l’identité de genre de la personne.
Intersexe : Personne née avec une forme sexuée dont la médecine ne parvient pas à dire si les organes génitaux sont mâles ou femelles.
Hétéronormativité : Lorsque le code, la norme prend pour référence l’hétérosexualité. Système de normes et de croyances qui renforce l’imposition de l’hétérosexualité comme seule sexualité ou mode de vie légitime. Elle implique notamment la présomption que toute personne est hétérosexuelle.
Encore beaucoup de méfiance
Les médecins peuvent se montrer coupables de stéréotypes, préjugés, méconnaissances des personnes LGBT+ (voir interview) qui peuvent avoir des conséquences importantes sur leur prise en charge. « Beaucoup de patients ne parlent pas de leur orientation sexuelle. La proportion d’homophobes chez les médecins est la même que dans la population générale. Certains refusent de consulter, de leur parler de leur intimité par peur de se faire juger. La meilleure preuve de ces retours négatifs, c’est la création d’une médecine nommée à tort communautaire, alors qu’elle ne se crée qu’en réaction à des médecins maltraitants », analyse le Dr Baptiste Beaulieu.
La thèse du Dr Guillaume Potherat* illustre ce phénomène (voir article). Elle révèle que 25,4 % des interrogés ont choisi leur médecin traitant car il est « ouvert aux questions liées à l’homosexualité ».
Le Dr Julie Van Den Broucke est généraliste dans le Marais à Paris. « Certains patients recherchent spécifiquement un cabinet étiqueté gay-friendly, le bouche-à-oreille joue alors beaucoup », souligne-t-elle. « Si j’avais une liste homo ou gay-friendly, très clairement j’irais là-bas, relatait une personne interrogée dans la thèse du Dr Thibaut Jedrzejewski, « EGaLe-MG » en 2016. Que ce soit pour un problème lié à la sexualité ou pas. Ça me permettrait d’avoir des médecins plus ouverts. Je sais que je ne vais pas me faire dévisager ou me prendre une remarque. »
Une formation inexistante sur les orientations sexuelles
Ces patients LGBT+ qui choisissent des généralistes gay-friendly le font ainsi pour se sentir en confiance. L’enjeu est important. « En reculant le moment de leur rendez-vous, beaucoup prennent un risque inconsidéré. Être gay en France et avoir un problème de santé c’est une perte de chance. Par ailleurs, les études de médecine font peu de cas des personnes LGBT+ », explique le Dr Beaulieu.
Selon le généraliste, la formation a une place essentielle à jouer. « Je ne jette pas la pierre aux médecins. Certains sont irrécupérables, mais pour les autres, encore faut-il avoir la formation appropriée. Cela s’apprend, au même titre que le reste. Personne ne naît déconstruit de tous les stéréotypes, par exemple, sur la transidentité. Je milite activement pour faire entrer la sociologie des discriminations dans les facs de médecine. » Selon lui, le plus efficace serait que les personnes concernées témoignent auprès des médecins. « Les leçons de morale, cela ne sert à rien. »
Le Dr Van Den Broucke reconnaît que sa formation l’avait très mal préparée à la prise en charge de plusieurs patients trans. « En neuf ans d’études, aucune information. C’est quand même insensé. Je ne connaissais pas les aspects médicaux et relationnels : les appellet- on Monsieur ou Madame, à partir de quel moment, etc. De la même manière, une adolescente m’a dit qu’elle était pansexuelle, je ne savais pas du tout de quoi il s’agissait. Heureusement, elle m’a expliqué. Le problème de notre formation, c’est qu’elle nous apprend les maladies, or ici, on parle d’identités sexuelles. »
Ce que disent vos patients*
« Quand j’ai abordé le sujet, mon ancien médecin m’a posé des questions très sobres, car il n’était pas à l’aise. Mais il m’a demandé d’office si je me protégeais, et posé deux-trois questions de santé sexuelle. Et j’avais trouvé cela bien. » F, 25 ans, Paris
« Je n’ai pas eu de problème à lui dire que j’étais homo. Si à son médecin traitant on ne peut pas le dire, il faut changer de médecin. » A, 44 ans, Paris
« Le médecin devrait poser la question directement. Je comprends qu’il puisse hésiter, car des patients le prennent de façon délicate. Mais c’est le meilleur moyen pour en parler. » D, 37 ans, Lyon
« Une société hétéro-normée qui nous renvoie du « sale PD » à tire-larigot peut susciter chez nous des failles narcissiques ou entraîner des troubles de la personnalité. Il est important de voir un praticien qui puisse le comprendre. Je pense qu’un médecin homo est plus réceptif. » G, 47 ans, Paris
« Ce serait bien que le médecin sache l’aborder anecdotiquement au cours d’une conversation. Je suis à l’aise sur le sujet, mais je l’étais moins à une certaine époque, et j’aurais bien été aidé qu’on m’en parle. [...] Le seul fait qu’il y ait une campagne de prévention dans une salle d’attente nous fait comprendre que le sujet est évocable si nécessaire. » C, 53 ans, Paris
« Moi je me cherchais, mais je me disais : si j’en parle à mon médecin puis qu’il en parle à ma mère, ça ne va pas le faire. » Cd, 43 ans, Paris
« On se rend compte qu’une fois l’orientation sexuelle posée sur la table, il y a naturellement plein de choses qu’on amène en consultation avec un médecin. » Z, 30 ans, Paris
« J’ai dit de suite à mon médecin que j’étais homo [... ] en me disant : ça lui va, je reste, ça lui ne va pas, je me casse. » B, 67 ans, Toulouse
* Source Thèse « Homogen » de Guillaume Potherat (voir l'article)