Il était présent à sa place de fonction habituelle au balcon du Bataclan le soir du 13 novembre 2015 ; mais il n’assistera sans doute pas au procès fleuve des attentats qui a débuté ce mercredi au Palais de Justice de Paris. Fan de rock et de métal, le Dr Patrick Cogolludo, ancien généraliste à Suresnes (Hauts-de-Seine), exerce depuis une vingtaine d’années le rôle de médecin de salle de spectacle. C’est ce qui l’a sauvé le soir du massacre, car il connaît ce théâtre parisien comme sa poche mais, sans doute, aussi ce qui lui a aussi permis de trouver un chemin étonnant de résilience.
Au point que ce médecin n’a jamais envisagé de se constituer partie civile dans le procès, comme certaines associations de victimes lui avaient pourtant suggéré. À sa connaissance, il ne sera pas non plus appelé à la barre des témoins. « Bien sûr, je pense que je suivrai le procès dans la presse mais je ne pense pas y aller, je me sens un peu extérieur, a-t-il confié mercredi matin au "Quotidien". Je me considère certes comme une victime de cet attentat mais, en tout cas, je ne me donne pas le droit de réclamer quelque chose car j’exerçais simplement mon métier ce soir-là, j'ai fait mon travail. »
Au cabinet le lendemain de l'attentat
Dès les premiers coups de feu tirés dans la salle du Bataclan, « comme tout le monde, mon réflexe a été de sauver ma peau, c’est un mécanisme naturel », se souvient le Dr Cogolludo aujourd'hui. Il emmène dans sa fuite le maximum de personnes présentes autour de lui au balcon et les guide très rapidement vers le couloir menant à une sortie de secours. Il n'est pas blessé.
Dans la ruelle adjacente à la salle, le petit groupe récupère à son tour des premiers blessés à l’extérieur et tous se mettent à l’abri dans l’appartement d’un couple de riverains. « J’avais avec moi huit blessés relativement graves et pour seul matériel mon stéthoscope et du Steri-strip, se rappelle-t-il. Nous avons prévenu le SAMU qui n’a pu prendre en charge les blessés qu’à 3 heures 30 du matin, une fois l’intervention des forces de l’ordre terminée. »
Six heures plus tard, le généraliste… assurait sa consultation habituelle du samedi matin à son cabinet de Suresnes. « J’ai suivi mon propre chemin, j’ai été très bien entouré par ma famille et mes amis, j’ai continué mes activités habituelles, raconte-t-il. Je n’ai pas eu le besoin de consulter de psychologue mais plusieurs de mes amis psy m’ont dit qu’ils me surveillaient du coin de l’œil. En revanche, moi qui suis très introverti d’habitude, j’ai beaucoup parlé de ce qui s’était passé à mon entourage. »
Continuer comme avant
Une semaine après l’attentat, le médecin passe la soirée à l’Olympia, fidèle à son poste de médecin de salle de spectacle. Puis, comme prévu de longue date, il part à Bali en vacances. Une absence qui a suffi à faire naître la rumeur dans sa ville, d’une « hospitalisation en psychiatrie » ironise-t-il aujourd’hui. « Je me suis documenté sur le sujet mais je pense que je n’ai pas vécu un stress post-traumatique vraiment important même si mon entourage proche m’a dit après que j’avais eu des moments difficiles », ajoute-t-il encore. Il estime surtout avoir eu de la chance d’avoir pu sortir très rapidement de la salle et d’avoir eu à continuer à exercer sa mission de médecin dans les heures suivantes.
Une situation dramatique à laquelle il n’avait pourtant pas été préparé car les médecins des salles de spectacle ne suivent pas de formation particulière, leurs interventions habituelles consistant essentiellement dans la prise en charge de malaises vagaux. Désormais retraité depuis un an et demi, sans lien particulier avec les associations de victimes, il continue sa prise de distance, qui peut paraître étonnante, avec l’événement et va toujours au concert avec sa mallette de docteur.
« J’ai géré la réouverture du Bataclan avec le concert de Pete Doherty puis j’ai géré, à l’Olympia, le concert des Eagles of Death Metal », le groupe qui se produisait le soir de l’attentat et qui a tenu à « finir son concert » trois mois plus tard avec des blessés entourés de « 17 équipes de psychologues ». « Je voulais que tout continue comme avant », martèle le Dr Cogolludo, à l’unisson de beaucoup de Parisiens à l’époque.
Fonction thérapeutique
Aujourd’hui, à 69 ans, le médecin fait des vacations de vaccination Covid dans un centre à Suresnes mais remplit également une autre mission moins banale pour un médecin retraité : les visites des gardés à vue pour vérifier que leur état de santé est compatible avec la procédure, y compris les personnes soupçonnées de terrorisme interrogées à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). « Je dois sans doute être la seule victime du Bataclan qui se retrouve en face de terroristes présumés, sourit-il presque. J’y étais encore hier. Ce ne sont pas des patients que je soigne, ma tâche est plutôt d’ordre administrative. C’est une fonction différente mais je crois qu'elle est aussi d’ordre thérapeutique pour moi. »
Les 1 800 parties civiles qui participeront à partir d’aujourd’hui à la plus grande audience criminelle jamais organisée en France seront, eux, face à 14 accusés. Si comme tout procès, celui-ci n’a pas de vocation thérapeutique, il permettra probablement aussi à un certain nombre de victimes de poursuivre leurs chemins singuliers de résilience.
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur
Face au casse-tête des déplacements, les médecins franciliens s’adaptent
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique