UN ENTRETIEN AVEC LE Pr THIERRY PERNICENI*
LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN – Qu’est-ce qu’un événement porteur de risque ?
PrTHIERRY PERNICENI - Il existe actuellement une préoccupation concernant la sécurité des soins, qui se distingue de celle de l’assurance qualité. En effet, cette dernière utilise des procédures s’appuyant sur des référentiels et s’appliquant à différentes étapes du parcours de soins du patient. Or un événement qui survient en un point précis de ce parcours peut avoir une conséquence, à savoir un événement indésirable plus ou moins grave, qui se produit beaucoup plus loin dans l’histoire médicale du patient. Dans cette approche segmentée le risque est alors qu’aucun lien causal ne soit mis en évidence. Ce d’autant qu’il y a souvent plusieurs événements porteurs de risque (EPR) survenant dans différents « silos » qui vont se conjuguer pour aboutir, plus tardivement, à un seul événement indésirable. Cette notion a été bien modélisée par Reason. Selon sa théorie, il existe normalement plusieurs filtres entre le ou les EPR et l’incident éventuel ultérieur. Si ce dernier survient, c’est que non seulement certains filtres sont « troués », mais que, de plus, tous les trous se sont alignés (voir figure). D’ou l’émergence de la notion de sécurité qui apporte une vision globale, systémique et linéaire de l’ensemble du parcours de soins et qui s’oppose ainsi à la vision habituelle beaucoup plus morcelée et statique. L’objectif est in fine de recenser les EPR pour mettre en place des barrières de prévention.
Que peut nous apprendre l’aéronautique dans ce domaine ?
Le système de déclaration des événements fait totalement partie de la culture du monde de l’aviation qui dispose de plusieurs techniques de recueil. Ainsi les fameuses boîtes noires permettent de collecter toutes les données d’un vol qui sont systématiquement analysées de façon à repérer tous les écarts à la norme. De fait, le monde de l’aviation est très sûr puisque l’on compte un événement indésirable pour un million de mises en œuvre. En chirurgie, on compte en général plutôt un événement indésirable pour 1 000 mises en œuvre.
Peut-on adapter ces notions à la chirurgie ?
Comme nous l’enseigne le milieu industriel, pour passer d’un système peu sûr à un système très sûr, il existe des étapes essentielles comme celle de limiter la performance des acteurs et des opérateurs, en passant d’une vision de valorisation individuelle à une vision plus collective. Car, paradoxalement, ce sont dans les systèmes les plus à risque, que l’on rencontre les expertises individuelles les plus grandes. L’exemple que l’on peut donner est celui des alpinistes qui gravissent l’Himalaya : ce sont certes des sportifs d’exception qui lors de leur 2e ascension ont une chance sur deux d’y laisser leur vie… Ce n’est ainsi pas l’augmentation des capacités techniques des intervenants qui accroît la sécurité, mais l’amélioration de l’organisation du système.
N’y a-t-il pas certaines particularités à prendre en compte ?
On comprend bien que pour faire évoluer le monde chirurgical vers un système de ce type, il est impossible de pouvoir faire un « copier-coller ». D’une part le milieu industriel et notamment celui de l’aéronautique est imprégné depuis sa naissance par cette culture sécuritaire, ce qui n’est pas le cas de la chirurgie. D’autre part, l’univers des soins possède des originalités qu’il faut évidemment prendre en compte : il existe de fait une part d’artisanat dans le métier de chirurgien. Se pose encore la question du maintien de la créativité malgré la mise en place de multiples procédures. Il faut aussi tenir compte des variabilités individuelles, qu’il s’agisse des opérateurs ou des patients, une donnée qui là encore diffère totalement du monde de l’aviation. Enfin, le système doit pouvoir s’adapter aux innovations qui surviennent, dans l’aéronautique, tous les 15-20 ans alors qu’en chirurgie le délai est inférieur à cinq ans. Or, on sait que la mise en place d’une nouvelle « culture de sécurité » nécessite environ dix ans…
Où en est-on aujourd’hui ?
D’une façon globale, la certification des établissements, l’évaluation des pratiques professionnelles devenue le développement professionnel continu vont indiscutablement apporter un progrès en termes de sécurité, notamment les revues morbidité-mortalité, en permettant de remonter aux causes racines. Il faut encore citer l’apport de l’accréditation des spécialités à risque et, depuis janvier 2010, l’introduction, sous l’égide de la HAS, en collaboration avec les professionnels de santé, de la check-list au bloc opératoire (voir article ci-dessus).
S’y ajoute la déclaration des événements porteurs de risque, en priorité des EPR ciblés, et la mise en place de bases de données spécifiques. Encore faut-il que les soignants établissent ces déclarations. À l’évidence, il faudra du temps pour que ces bases de données se remplissent. Elles ont cependant le mérite de familiariser les acteurs à une culture de la sécurité et aux enjeux de l’approche collective, tout en replaçant le malade au centre des préoccupations. Sans compter les conséquences à termes, dans la formation et la sélection des chirurgiens.
* Chirurgien digestif, Institut Mutualiste Montsouris, Paris.
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