PLUSIEURS rapports pointent du doigt le rôle trouble qu’a joué la direction du CHU dans cette affaire fortement médiatisée. Alain Manville, le directeur général d’alors, a mis Éric Delous à l’écart de son service en dehors de toute procédure disciplinaire, trois mois durant. L’inspection du travail parle de « suspension illicite ».
Cantonné à une activité de recherche alors qu’il était promis à un brillant avenir de PU-PH, le chef de clinique n’aurait pas supporté ce désaveu. Question délicate, s’est-il également senti abandonné par ses confrères ? Sans l’affirmer aussi clairement, l’inspection du travail fait ce constat : « L’absence de suivi médical, le tabou de l’erreur médicale, ont contribué à l’isolement du Dr Delous ».
L’Agence régionale de santé (ARS) du Languedoc-Roussillon s’interroge de son côté sur le rôle qu’a tenu le comité des sages, sorte de comité de pairs local qu’avait saisi le DG pour statuer sur le cas Delous. Le comité avait conseillé à Alain Manville d’inciter le chef de clinique à « la réalisation d’une mobilité universitaire ». « On est tous un peu responsable du suicide d’Éric, témoigne aujourd’hui cet interne en anesthésie-réanimation, au CHU de Montpellier. On ne l’a pas assez soutenu. Peut-être qu’on aurait dû faire grève, manifester pour qu’il soit réintégré plus vite. Le comité des sages n’a servi qu’à l’enfoncer ». Deux IADE du même pôle se sont donné la mort depuis le décès du chef de clinique, a priori sans lien avec le travail. Reste que le sujet est hypersensible. « Je n’ai aucune illusion sur le soutien que pourrait m’apporter l’institution si je devais être confronté à un pépin », poursuit l’interne qui a bien connu Éric Delous.
Préjudice collectif.
L’association locale des chefs de clinique a porté plainte contre le CHU de Montpellier. Son président, le Dr Grégoire Mercier, s’en explique : « Nous contestons formellement la mise à pied d’Éric Delous, et faisons valoir un préjudice collectif. Il faut que cesse la menace d’être mis à pied qui plane en permanence sur nous ».
Alain Manville a été débarqué par Roselyne Bachelot. Depuis début 2011, c’est Philippe Domy qui dirige le CHU montpelliérain. Le groupe de travail installé par le nouveau DG propose diverses actions : rendre obligatoire la visite médicale du travail pour les jeunes médecins, identifier des personnes ressources pour accompagner les soignants en souffrance... L’objectif ? Sortir d’une culture du tabou, et restaurer la confiance perdue. « On doit pouvoir dire l’erreur à l’institution qui doit accompagner le professionnel sans préjuger de l’issue disciplinaire », dit Philippe Domy, qui entend « rompre avec le passé ». Le comité des sages n’existe plus, précise-t-il.
La communauté médicale apprécie le retour du dialogue. « On est sorti d’une situation folle, soupire ce PU-PH. C’est à la justice d’établir la faute, pas à l’institution. L’ancien directeur général porte une responsabilité personnelle dans cette affaire ». Et les médecins, ont-ils manqué de solidarité ? « Le comité des sages n’était pas crédible, répond le PU-PH sous couvert d’anonymat. La direction de l’époque était insupportable, elle a dérapé, et certains médecins ont "collaboré" ».
Les conditions de travail en cause.
Du côté du personnel non médical, l’impression qui prédomine est celle d’une aggravation des conditions de travail. « Il manque 300 postes au CHU », calcule ce syndicaliste, pour qui « l’omerta » reste de mise chez les médecins. « Ils se replient sur eux-mêmes, continuent de régler les problèmes entre eux, et se méfient de l’enquête que mène le CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) sur les suicides en anesthésie-réanimation ».
Le cabinet Technologia, spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux, a mené une expertise locale. Les médecins auditionnés évoquent leurs difficultés à communiquer avec leur hiérarchie et l’administration. Ils considèrent que les récents suicides résultent de contraintes et d’impératifs de plus en plus difficiles à tenir, auxquels s’ajoute le risque d’erreur. Certains ont fait état de harcèlement, et même de violences physiques entre confrères. Technologia préconise d’améliorer la communication et le management médical de toute urgence.
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