Par le Dr Jean-François Gravié *
LA REVUE de mortalité morbidité (RMM) est une analyse globale d’une situation afin d’intégrer des paramètres organisationnels, techniques et humains. L’analyse des causes, la mise en place de mesures de prévention et de correction ont pour but de modifier la pratique au quotidien et de faciliter l’exercice professionnel avec un objectif d’amélioration des pratiques. Cette démarche consiste à poser les questions suivantes : « qu’est-il arrivé ? », « comment est-ce arrivé ? », « pourquoi est-ce arrivé ? », « qu’avons-nous appris ? », « quel changement mettre en œuvre ? ».
La tenue de RMM s’intègre dans une logique de démarche qualité pour les établissements. Le patient est informé, dans le livret d’accueil qui lui est remis, que les équipes qui le prennent en charge réalisent ces réunions de RMM. Il y trouve un gage de transparence, de réflexion et de qualité.
Un travail collectif.
La RMM est un élément de stimulation pour fédérer autour d’un même objectif d’amélioration. Elle développe la communication au sein des équipes, leurs cohésions et leurs fonctionnements dans l’établissement.
C’est souvent du côté des médecins que l’on trouve le plus de réticences à leurs mises en place, peut-être pour certains en raison de la crainte d’une mise en cause personnelle. À l’inverse, d’autres voient dans cette réflexion d’équipe un espace pour se dédouaner de toute responsabilité, propice pour accuser l’autre.
En fait, le grand principe qui régit le déroulement d’une RMM est énoncé dans le guide méthodologique de la HAS (1) : « La non culpabilisation des personnes ayant participé à la prise en charge est indispensable à l’objectivité et au succès de la recherche des causes, ainsi qu’à la pérennité des RMM3 ".
Cette notion de confiance, d’écoute et de réflexion est une des missions difficiles de l’animateur de la réunion qui doit maintenir « cet esprit de transparence et de responsabilité, tourné vers l’amélioration … », condition nécessaire pour assurer la pérennité de la RMM. Le choix des thèmes abordés est également un gage de succès : pour débuter, il est plus facile d’analyser des incidents simples, des thèmes transversaux, des sujets non conflictuels. L’important est d’obtenir une adhésion des professionnels dans un espace de parole organisé et libre, en toute confiance mutuelle. Ainsi, l’implication de chacun à l’occasion de ces réunions est un gage de structuration et de cohésion d’équipe.
Les cas sélectionnés en RMM doivent pouvoir concerner tous les volets de la prise en charge du patient ce qui souligne l’intérêt d’une analyse collective et la participation de tous les professionnels de santé. À côté des décès et des complications, il est souvent aussi intéressant d’analyser tout événement qui aurait pu causer un dommage au patient. Le nombre de ces « presque accidents » ou « near miss » est toujours plus important que les complications elles-mêmes. Leur analyse permet souvent d’identifier des causes systémiques fréquemment retrouvées lors d’autres analyses et qui sont propres à chaque établissement ou aux pratiques de chaque équipe. C’est sur ces causes communes que les actions de correction et d’amélioration seront les plus faciles à mettre en place. L’accréditation des médecins est fondée sur la déclaration de ces événements porteurs de risques (EPR). Dans la procédure d’accréditation, chaque spécialité à risque a défini dans son programme des EPR ciblés qu’il paraît pertinent de choisir en priorité comme indicateurs. Certains thèmes sont communs à toutes les spécialités comme la défaillance dans la prise en charge d’un patient sous anticoagulant ou antiagrégant plaquettaire, qui est défini comme un EPR ciblé interspécialité.
Une mise en application reproductible.
Pendant longtemps les RMM étaient considérées comme un outil pédagogique permettant aux chirurgiens d’analyser, avec leurs pairs, les cas de décès et de faire une analyse critique de leurs pratiques.
La RMM aujourd’hui n’est plus un staff de complications ou centré sur le raisonnement clinique, encore moins une présentation académique.
Un des obstacles à sa mise en place a été d’ordre méthodologique. Actuellement le guide méthodologique de la HAS décrit une procédure unique, applicable à tous les établissements et quelle que soit la spécialité. Elle s’appuie sur : la description d’une charte de fonctionnement ou d’un règlement intérieur au sein des établissements, une méthode de sélection de dossiers pouvant s’appuyer sur l’identification d’indicateurs définis a priori, un processus commun d’analyse des cas (a posteriori) basé sur la recherche des causes immédiates et des causes systémiques par la méthode ALARM (2), un compte rendu avec identification d’actions d’amélioration, un suivi de ses actions et un bilan annuel des RMM effectués dans l’établissement.
Si l’approche méthodologique et logistique peut s’appuyer sur le responsable qualité de l’établissement, la nécessité d’un travail préparatoire et d’un travail de synthèse de ses réunions ne peut se faire sans l’implication du corps médical. La CME et le coordinateur de la gestion des risques doivent impulser et promouvoir cette démarche dans l’établissement. Le succès et la pérennité des RMM doivent être compatibles avec la disponibilité et la charge professionnelle de chacun. Il appartient donc à chaque établissement et à chaque professionnel impliqué de définir une charte de fonctionnement la plus adaptée possible afin d’éviter que ces RMM ne deviennent une contrainte difficilement surmontable. Bien que la HAS conseille un nombre limité de réunions, de 6 à 8 par an, à condition qu’elles soient bien préparées et que la durée (environ 2 heures) soit suffisante pour bien débattre des cas sélectionnés, il est toute fois rappelé dans le guide méthodologique que : « la périodicité et la durée des réunions sont à l’initiative de chaque secteur d’activité ». Dans tous les cas, il vaudra mieux privilégier la qualité à la quantité des dossiers analysés.
Le guide de RMM, la fiche de synthèse et les documents d’aide sont téléchargeables sur le site www.has-sante.fr ou www.chirurgie-viscerale.org /onglet fcvd.
Le programme national de la Fédération de chirurgie viscérale et digestive.
La RMM, au sein de l’établissement, peut être particulièrement ciblée sur un thème national d’amélioration des pratiques et/ou de prévention du risque pouvant aboutir à la mise en place de recommandations et de registres nationaux.
La Fédération de chirurgie viscérale et digestive (FCVD) a décidé, dans un souci de réduction de la mortalité et de la morbidité en chirurgie viscérale et digestive, de s’engager sur la diffusion d’une RMM d’abord ciblée sur la chirurgie colo-rectale (programme Apollo). Elle sera ensuite étendue aux autres pathologies. Les deux indicateurs retenus (choix pour le thème de la RMM) sont la mortalité et les reprises non programmées. Les interventions chirurgicales sur le côlon et le rectum représentent une part importante de l’activité des équipes chirurgicales : la morbidité postopératoire survient dans près de 30 % des cas et une réintervention non programmée chez 3 % des opérés en moyenne. Ces événements sont à l’origine de mortalité et de séquelles postopératoires. Il a été démontré (3) que leur prévention par une analyse des facteurs favorisants et une prise en charge optimale quand la complication survient - c’est le concept du « failure-to-rescue » - améliorent la surmorbidité et la mortalité postopératoires. L’objectif de la RMM ciblée sur les réinterventions non programmées, qui étudie le management de la complication rencontrée, est donc double : d’une part, diminuer la mortalité et la surmorbidité après réintervention non programmée et, d’autre part, (autant que faire se peut) réduire le taux de réintervention non programmée après chirurgie colo-rectale.
Une fiche de recueil des données pour la RMM a été ainsi établie par la FCVD début 2010. Elle a été testée par une vingtaine d’équipes chirurgicales (universitaires et non universitaires, public et privé) et est actuellement téléchargeable sur le site www.chirurgie-viscérale.org onglet FCVD Programme Apollo.
Aujourd’hui opérationnelle, cette procédure de RMM ciblée chirurgie colo-rectale doit pouvoir être adoptée par les équipes chirurgicales afin de favoriser le recueil des deux indicateurs (mortalité et RNP). L’objectif est l’élaboration d’un registre national, actuellement en phase de test, accessible par Internet. La création de ce registre a pour but, à terme, de développer au sein des équipes chirurgicales, la culture du résultat, permettre aux équipes chirurgicales de suivre tous les ans leur taux de mortalité et leur taux de RNP, de développer des démarches d’amélioration de la qualité et sécurité en s’appuyant sur ces indicateurs, de connaître l’évolution des taux de mortalité et les taux de RNP en chirurgie viscérale et digestive afin de promouvoir des recommandations ou des formations, voire des travaux de recherche clinique.
*Secrétaire Général de la Fédération de chirurgie viscérale et digestive.
Remerciements au Dr B. Bally, service évaluation et amélioration des pratiques de la HAS, pour la relecture de ce document.
1) HAS 2009. Revue de mortalité et de morbidité: guide méthodologique.
2) Vincent C. BMJ 2000. ALARM : Association of litigation and risk management
3) Ghaferi A. N Engl J Med 2009. Variation in hospital mortality associated with inpatient surgery.
4) Chevalier P. Rev Droit Sanit Soc 2008. Les revues d’analyse des accidents médicaux : quelles incidences sur la responsabilité pénale des médecins et soignants ?
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