En juin 2015 Isabelle Luck, médecin généraliste dans les Yvelines, traçait un tableau poignant des « grandeurs et servitudes médicales » pour dénoncer la proposition émise par Florence Augier, Secrétaire nationale chargée de la vie associative au Parti socialiste, d’imposer aux jeunes médecins des « affectations transitoires » sous prétexte que leurs études sont gratuites, mettant ainsi en cause le principe de la liberté d’installation.
Fustigée par ce texte, cette proposition suscita un tel tollé dans le monde médical que Florence Augier jugea nécessaire de s’en excuser tout en déclarant son amour pour les médecins, les étudiants en médecine, et la médecine en général (« le Quotidien du Médecin » du 9 juin 2015)
Bravo ! Mais on peut tout de même se demander pourquoi cette proposition a été émise à notre époque, et jamais auparavant. Pourquoi personne, parmi les hommes, et les femmes, politiques de tous bords, n’avait eu pareille idée dans ces dernières décennies ?
C’est qu’il y a quelques années on ignorait le terme même de « déserts médicaux ».
Chirurgien retraité, je ne réside pas dans une bourgade isolée de la Creuse ou de la Lozère mais dans une préfecture départementale de 50 000 habitants, et j’ai eu récemment l’occasion de comprendre ce qu’était peut-être pas une « désertification » mais une « raréfaction » médicale.
Souffrant de céphalées unilatérales et craignant une tumeur, je demande un rendez-vous d’IRM. Réponse : pas avant trois mois ! Ma tumeur, si tumeur il y a, aura-t-elle d’ici là le temps d’évoluer ?
Un bouton noir est apparu sur ma peau. Au cabinet de dermatologie la réponse est sans appel : pas de rendez-vous, là aussi, avant trois mois. Mon mélanome, si mélanome il y a, aura-t-il d’ici-là le temps de métastaser ?
Mon épouse est hypertendue. Le cardiologue qui la suivait à l’hôpital vient de partir à la retraite. Un rendez-vous est donné avec son successeur pour mars 2016. Et nous étions en juillet 2015 ! Mon épouse aura-t-elle le temps, d’ici là, de faire un infarctus, comme sa mère, hypertendue elle aussi, qui est morte d’un infarctus ?
Mais pourquoi, me direz-vous, vouloir l’avis d’un spécialiste, et pas d’un généraliste ?
Eh bien oui. Mon épouse, toujours elle, était suivie par un excellent généraliste. Mais voilà il vient de prendre sa retraite et malgré tous ses efforts n’a pas trouvé de successeur.
Vous m’objecterez que ces situations ponctuelles ne sont pas « statistiquement significatives ». Certes, mais des histoires de ce genre, de cabinets fermés faute de successeurs, de délais de rendez-vous invraisemblables, on en entend raconter partout, sans qu’elles figurent dans des chiffres officiels, qui seraient bien difficiles à établir.
Rassurez-vous, mes tribulations de médecin malade se sont heureusement terminées. J’ai eu mon IRM, une consultation de dermatologie dans des délais satisfaisants, mon épouse a trouvé un médecin généraliste pas (encore) à la retraite, et tout va bien, nos craintes étaient injustifiées.
Comment avons-nous réalisé ces tours de force ? Simplement en utilisant le sésame que possède chaque médecin, et que vous utilisez sans doute également, sans même y penser.
Lorsque vous avez au bout du fil la secrétaire d’un confrère, ne lui demandez pas de rendez-vous, mais dites simplement :
« Je voudrais parler personnellement au Docteur (ou Professeur) Un Tel, de la part du Docteur… »
et là, vous annoncer votre nom et vos qualités. Vous pourrez alors vous entretenir directement avec votre confrère, lui expliquer votre cas, et obtenir le rendez-vous souhaité. Naturellement ce sésame n’est accessible qu’aux membres du corps médical, de sorte que ceux qui souffrent le moins des déserts médicaux, ce sont d’abord les médecins eux-mêmes. Auxquels il faut ajouter des notoriétés de la politique, du spectacle et du sport. Les autres, les obscurs, les sans-grade, les sans relations, ils n’auront qu’à être patients, c’est le cas de le dire, ou aller faire la queue en salle d’urgences.
Alors oui, la liberté d’installation est jusqu’ici restée un principe intangible. Mais si cette liberté ne posait aucun problème dans les années passées, elle risque maintenant d’aggraver le problème des déserts médicaux.
Certes, les malheureux étudiants en médecine font des études longues et difficiles.
Mais les pharmaciens, eux aussi, font des études longues et difficiles. Leur diplôme ne leur permet pas d’ouvrir une officine où et quand cela leur chante.
Les enseignants, eux aussi, font des études longues et difficiles. Leur statut ne leur permet pas de choisir en toute liberté les établissements où ils iront faire la classe.
Les militaires, eux aussi, prennent des gardes, sont confrontés à des atrocités, et parfois risquent leur vie. Ils ne font pas eux-mêmes le choix de leurs affectations.
Et à propos de militaires, lorsque le service militaire existait encore, les jeunes médecins nouvellement promus allaient en coopération dans les pays décolonisés. Ils en revenaient plutôt satisfaits et même assez fiers. Pourquoi ceux, et celles, d’aujourd’hui n’accepteraient-ils pas d’aller en coopération en France dans des zones défavorisées sur le plan médical ? Surtout à une époque où l’on parle tant de « service civique ».
Sinon, si les candidat(e)s au métier de généraliste restent si peu nombreux, si les jeunes médecins préfèrent s’installer dans des villes ou des régions attractives, à qui faudra-t-il demander de prendre les postes délaissés ?
Je m’arrête là, car je ne voudrais pas encourir les foudres des lecteurs attachés à la sacro-sainte liberté d’installation.
En espérant toutefois que ces quelques lignes pourront faire réfléchir certains à la manière de lutter contre les « déserts médicaux » qui s’étendent peu à peu dans notre cher et beau pays.
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