Chaque année, un million de personnes sur la planète décèdent pendant - ou juste après - une opération chirurgicale, selon l’Organisation mondiale de la Santé. Un chiffre qui montre à quel point, pour Jean-Pierre Thierry, conseiller médical à France Assos Santé, l'erreur médicale est « systémique » dans le système de santé. « Il y a des répétitions d’erreurs chez les médecins : opérer du mauvais côté, donner le mauvais médicament, un défaut de transmission d’information ou une erreur de diagnostic », a-t-il exposé lors d'une table ronde sur ce sujet au congrès CHAM, organisé fin septembre par le Pr Guy Vallancien.
Si l'erreur médicale est inhérente à l'exercice, elle reste toutefois difficilement acceptable, souvent tue, et compliquée à apprécier, tant du point de vue de la pratique que de la justice. Pour Me Audrey Uzel, avocate spécialiste du droit médical, l’erreur doit déjà être distinguée de la faute. « L’erreur est de l’ordre du langage courant, la faute est une notion juridique : lorsqu'un médecin manque à une règle posée », a-t-elle détaillé. Sauf que cette faute ne trouve pas de définition stricto sensu dans le droit. Aussi, « pour définir les responsabilités, le juge va donc devoir s’appuyer sur le "droit mou" comme des protocoles médicaux, de sociétés savantes », a expliqué Me Uzel. Le tout en prenant en compte les obligations de moyens du praticien.
Jurisprudence favorable
Appréciée au cas par cas, la faute médicale reste toutefois très tenue à établir, en particulier lorsqu’il s’agit d’erreur de diagnostic. « Un médecin qui ne pose pas le bon diagnostic, commet-il une faute ? », s’interroge Me Audrey Uzel. Dans ce cadre, a-t-elle encore précisé, la jurisprudence est souvent plutôt favorable au praticien « à condition que les signes cliniques de patient n'aient pas permis pas de poser le bon diagnostic ». L’avocate a ainsi en mémoire une affaire récente impliquant des médecins, qui, face à un patient souffrant de maux de ventre, de troubles digestifs et de quelques migraines, n’avaient pas réussi à poser un diagnostic. Le patient - qui souffrait en réalité d'une torsion testiculaire - est décédé. « Dans ce cas, le diagnostic n’était pas évident, il n’y a pas eu de faute reconnue mais une erreur médicale non condamnable », a illustré Audrey Uzel.
« Il faut que les médecins modifient leur rapport à l’erreur », a plaidé pour sa part le Pr Éric Vibert, chirurgien hépatique à l’hôpital Paul Brousse. « Parfois, il faut avoir tout simplement l’audace et la lucidité de parler de complications postopératoires », a avancé le chirurgien pour qui « une mauvaise décision au bloc, répétée, devient une faute, d’autant plus si on n’en parle pas ».
La caméra pour éviter les erreurs au bloc
Pour améliorer la sécurité des patients – et éviter les erreurs chirurgicales – le Pr Vibert a créé il y a deux ans avec l’AP-HP la chaire innovation BOPA. L’idée : filmer l’opération et les gestes du médecin, pour les analyser ensuite. « Jusque-là, les erreurs étaient analysées via les comptes rendus opératoires, rédigés justement par celui qui a fait l’erreur et qui potentiellement ne l’a pas comprise », a rappelé Éric Vibert. En prenant de la hauteur sur l’opération, « l’objectif est que le chirurgien modifie son rapport à la réalité », et apprenne réellement de ses erreurs.
La chaire BOPA a également pour but de fabriquer des outils pour planifier et simuler la chirurgie en amont. Une sorte « de plan de vol de ce qui va se passer le lendemain au bloc » selon le chirurgien, qui pourra également passer par la création de jumeaux numériques du patient, pour s’entraîner. « C'est une aide à la décision numérique », a souligné le Pr Vibert qui pourrait être particulièrement utile pour certaines opérations risquées, comme la chirurgie hépatique pour cancer des voies biliaire qui présente des taux de mortalité élevés.
Attention aux abus
À l'avenir, prévenir les erreurs médicales sera d’autant plus important dans un contexte sociétal où le risque est de moins en moins accepté par les patients, a avancé Éric Chenut, président de la Mutualité française. « Une partie de la population va vouloir absolument chercher des fautes et des responsabilités, mais on ne gagne rien à cette dérive, qui est d’ailleurs plutôt anglo-saxonne », a indiqué le président de la Mutualité Française.
Pour Éric Chenut, la solution est plutôt à chercher du côté de la vulgarisation médicale. « Par manque de culture scientifique, certains ne comprennent pas que, parfois en médecine, on progresse simplement en faisant de moins en moins d'erreurs: on apprend et on corrige », a-t-il indiqué. Éric Vibert aussi concède que la traque à l’erreur « ne doit pas non plus mettre à mal l’audace chirurgicale ». « C’est aussi au travers des erreurs que l’on progresse, de la tarte tatin à la pénicilline ! », a-t-il rappelé avec le sourire.
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