En ce moment les médecins généralistes ne crachent pas sur les bonnes nouvelles et le dernier rapport du Sou Médical sur la responsabilité civile professionnelle (RCP) présenté jeudi en serait plutôt une. D’après les derniers chiffres du spécialiste RCP, les généralistes ont en effet été moins souvent mis en cause par leurs patients en 2014. Le nombre de déclarations d’incidents rapportés à l’assureur et impliquant des médecins de famille est de 343 pour 2014, alors qu’il était de 472 pour 2013 ou de 505 en 2012. Finalement après deux bilans annuels plus lourds, on retrouve l'an passé un nombre de déclarations proche de 2011 qui avait vu 387 cas de généralistes mis en cause. Pour les 47 217 médecins généralistes sociétaires du Sou, le taux de sinistralité atteint donc cette année 1,04 %. Si la médecine générale reste la profession dans laquelle on déclare le plus de sinistres (compte tenu de leur domination numérique), la fréquence de sinistralité chez les médecins traitants reste faible en comparaison par exemple des chirurgiens, le plus souvent mis en cause. En comparaison, les chirurgiens orthopédiques qui sont le plus fréquemment inquiétés en 2014 doivent faire avec une fréquence de sinistralité qui dépasse les 58 % !
Une bonne nouvelle donc, mais qui pourrait bien n’être que ça. Car rien n’indique le début d’une baisse durable. Pour Nicolas Gombault, directeur général du Sou médical, cette évolution est conjoncturelle et les évolutions sur le long terme poussent plutôt au contraire au pessimisme. « Nous avons tendance à penser que la sinistralité augmentera dans les années à venir. Notamment avec le développement de l’ambulatoire, le retour au domicile du patient, les médecins généralistes seront sollicités au premier niveau. Les chiffres 2014 sont conjoncturels et je ne pense pas qu’on puisse en tirer des enseignements » affirme-t-il.
[[asset:image:8146 {"mode":"small","align":"","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["Directeur g\u00e9n\u00e9ral du Sou m\u00e9dical"]}]]Les médecins plus exposés par leurs prescriptions ?
En 2014 encore une fois, les mises en cause semblent somme toutes assez classiques. Les retards de diagnostics constituent plus d'un tiers des mises en cause. On retrouve ensuite les problèmes de prise en charge. Après avoir été en tête des mises en cause pendant quelques années, notamment à cause de l'affaire Médiator, la iatrogénie ne représente cette année que près de 70 mises en cause. Pêle-mêle on retrouve aussi quelques réclamations pour des chutes lors d'examen, des erreurs de geste, des soucis de déontologie ou d'expertise, ainsi que des problèmes lors de régulation SAMU ou de non-assistance à personne en péril. Derrière ces items assez communs dans la responsabilité civile professionnelle, on retrouve certaines mises en cause qui font écho aux « affaires » qui ébranlent le monde de la santé. L'an passé, ce sont encore 42 personnes qui ont ainsi déposé des recours pour une prescription du Médiator. Cette année, l'assureur recense même une déclaration qui concerne le Gardasil.
Les plaintes liées aux prescriptions médicamenteuses pourraient augmenter dans l'avenir
Et le Sou médical craint qu’une autre évolution multiplie dans les années à venir ce genre de mises en cause : la loi de Santé, ou plus exactement l’une de ses mesures. En effet le projet de loi prévoit d’étendre au domaine de la santé la possibilité de faire des actions de groupe ou « class action » pour demander réparation à la justice. Les laboratoires qui fabriquent les produits pourront être attaqués, mais également les professionnels qui les prescrivent. « On pense que les plaintes liées aux prescriptions médicamenteuses pourraient augmenter dans l’avenir » analyse Nicolas Gombault. Le directeur du Sou Médical, explique que pour la première fois il y a quelques semaines, devant une CCI (Commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux), un généraliste a été déclaré responsable dans le cas d’une patiente qui a fait un AVC alors qu’elle était sous contraceptif oral de troisième génération. Une décision « inquiétante » selon lui, qui pourrait en appeler d’autres du même type.
Les CCI privilégiées par les patients
Fort heureusement, sur l’ensemble des plaintes reçues par le Sou Médical, la plupart ne vont pas jusqu’au contentieux et se règlent encore à l’amiable. Sur les 343 déclarations pour l’année 2014, c'est le cas de 134 d'entre elles, quand 102 ont donné à des saisines d’une CCI, 67 à des procédures civiles, 18 à des plaintes ordinales, 15 à des plaintes pénales et 7 à des procédures administratives. Nouveauté de cette année, on compte pour la première fois plus d’avis rendus par les CCI que de décisions de justice. « Les années précédentes on avait déjà plus de mises en cause devant les CCI et là comme les cas arrivent à maturité, les décisions de la CCI sont plus nombreuses et passent devant également » note Nicolas Gombault.
Au civil, les généralistes sont condamnés dans 60% des cas
Les Commissions de Conciliation et d'Indemnisation des Accidents Médicaux des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales ou CCI sont des structures précontentieuses mises en place par la loi Kouchner en 2002. Présidées par un magistrat, elles sont composées par des représentants des usagers, des professionnels de santé, des établissements de santé, des assureurs etc. Selon la gravité, la procédure peut-être celle de la conciliation ou du règlement amiable. « La procédure devant la CCI est rapide, elle est gratuite donc cette faculté d’obtenir une solution extrajudiciaire logiquement les patients l’utilisent » analyse Nicolas Gombault. « Cela devrait rester une tendance de fond dans les années à venir » ajoute-t-il. Autres particularités des saisines d’une CCI, les généralistes souvent n’y sont pas mis en cause seuls. « Plus souvent que dans les procédures civiles notamment, il n’est pas rare de voir des réclamations contre un ou plusieurs généralistes, des spécialistes, des cliniques, des hôpitaux, tout ça en même temps, jusqu’à une quinzaine de personnes. C’est totalement gratuit donc le patient n’a rien à y perdre, une motivation supplémentaire de sa part pour taper au plus large », analyse le directeur général du Sou Médical.
Préoccupante hausse des condamnations au pénal
Si les généralistes se retrouvent moins devant le juge de façon globale, ils sont quand même plus nombreux à devoir faire face à un juge pénal. Les généralistes ne sont pourtant pas d’habitude les professionnels les plus coutumiers de la procédure pénale. Ce sont généralement les obstétriciens, les pédiatres et les psychiatres qui y sont le plus souvent confrontés. Mais force est de constater une évolution préoccupante, à l'œuvre depuis trois ans. En 2012, seuls trois généralistes s’étaient retrouvés au pénal et aucun n’avait été condamné, en 2013 sur 12 procédures il y avait eu 4 condamnations, cette année sur 13 cas, 5 généralistes ont été condamnés.
C’est le cas par exemple de ce généraliste dont le patient en détention provisoire est décédé à la suite d’un arrêt cardiaque. Il était reproché à ce médecin de ne pas avoir demandé à recevoir des résultats d’analyse biologique en urgence, ce qui aurait permis au patient de bénéficier d’un traitement beaucoup plus rapide. Il a été déclaré coupable d’homicide involontaire et condamné à un an de prison avec sursis et un an d’interdiction d’exercice de la médecine.
Pour 2014, le coût d'indemnisation moyen au civil pour la discipline est de 70 000 euros
Dans un autre cas, un généraliste a également été condamné à 12 mois de prison avec sursis. Après avoir prescrit un bilan urinaire à une toxicomane, il lui a délivré une ordonnance pour une prise quotidienne de méthadone. La patiente va décéder après la troisième prise. Le généraliste, qui n’était pas habilité à prescrire de la méthadone, en a prescrit une dose toxique pour une personne non habituée à en prendre. Reste à savoir si les généralistes continueront de se retrouver davantage devant la justice pénale dans les années à venir. « Nous espérons que ce ne sera pas une vague de fond et qu’on ne verra pas le contentieux pénal se multiplier » souhaite Nicolas Gombault.
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