LE QUOTIDIEN : Que s’est-il passé lundi dernier ?
DR MOHAMED OULMEKKi : La maman du jeune qui m’a asséné ce coup de tête était venue me voir mi-octobre en me reprochant de ne pas avoir renouvelé le « 100 % » de ses enfants. Je lui avais répondu que, ses enfants étant maintenant adultes, j’avais besoin de leur propre carte Vitale et qu’en outre, leur pathologie ne relevait plus du 100 %. « Vous êtes un menteur et un escroc », m’avait-elle répondu avant de commencer à crier. Le cabinet était blindé. Je n’ai pas voulu continuer sur ce ton. Je lui ai dit : « On va faire simple, je vais regarder ce que vous me reprochez, mais comme vous me traitez d’escroc, je ne peux plus vous garder comme patiente, c’est une rupture de confiance. »
Malheureusement, l’histoire ne s’arrête pas là…
Non, ce lundi donc, son fils de 22 ans, que je suis depuis qu’il a l’âge de six ans, vient au cabinet et m’interpelle directement : « Qu’est-ce que cette histoire avec ma mère ? » C’était un geste prémédité, il ne venait pas pour discuter, c’était une excuse. Ma femme, avec qui j’exerce et qui est elle aussi généraliste, me demande ce qu’il se passe. Je lui dis alors que tout va bien. Elle quitte le cabinet mais me rappelle depuis la voiture pour en avoir le cœur net. « Tu es sûr, le regard de ce mec, il m’inquiète. »
Le jeune homme sort à son tour, reste dehors le temps de s’assurer que ma femme est bien partie. Puis il rentre à nouveau et vérifie qu’il n’y a plus d’hommes dans la salle d’attente. Il frappe à la porte de mon cabinet et me tend son portable en me disant qu’il a trouvé quelque chose sur ameli. Je m’approche à 10 cm de lui pour regarder l’écran du téléphone et je reçois un coup de tête en pleine face. Je me suis retrouvé par terre avec le sang qui coulait. J’étais sonné comme un boxeur qui prend un KO.
Quand j’ai rouvert les yeux, les patientes étaient autour de moi. Ce sont elles qui ont appelé la police. Ils sont arrivés en moins de dix minutes, ont appelé les pompiers et sont restés pour être certains que j’étais bien pris en charge, me demandant si j’avais besoin d’aide pour fermer le cabinet. Ils ont été top.
“Je revis la scène en boucle
Qu’ont révélé les examens médicaux ?
Le scanner que j’ai passé a constaté une triple fracture du nez, avec un déplacement de la cloison nasale de six millimètres, ainsi qu’un enfoncement du massif facial. Je suis allé porter plainte au commissariat. L’UMJ [unité médico-judiciaire, NDLR] m’a donné une ITT de 15 jours qui pourrait être prolongée selon les résultats de l’opération. J’ai aussi une anosmie totale. Je vois flou d’un œil, j’ai mis ça sur le compte de l’œdème et j’espère que ça va revenir après l’opération.
Quant au préjudice mental, je ne vous raconte pas le stress. Je revis la scène en boucle. Ma femme me dit que je suis à l’ouest. Je suis complètement déstabilisé, je pose des trucs et je ne sais plus où je les ai mis. Je me fais opérer cette fin de semaine pour essayer de voir ce qu’on peut réparer ; mais avant je dois passer [ce jeudi] au tribunal de comparution immédiate de Bobigny, là aussi, pour porter plainte.
Vous êtes installé à Drancy depuis près de 30 ans. Cette agression est-elle le fruit du hasard ou le signe d’une montée des violences faites aux médecins ?
Je l’ai répété je ne sais combien de fois. Il y a une montée hallucinante de la violence. Cette dernière année, j’ai fait face à plus d’agressions verbales – et maintenant physiques – que pendant mes 26 ans d’installation. Crachats, insultes, une dame m’a même balancé une chaise… mais je n’ai jamais voulu porter plainte parce qu’on sait d’emblée que, lorsque ça ne va pas plus loin que ça, ça ne va pas aboutir à grand-chose.
Alors, le plus souvent on ne donne pas suite, on prend sur soi, en se disant que c’est pas grave. Ce qui me perturbe le plus, c’est que l’agression que j’ai subie lundi est purement gratuite. Je n’en comprends pas les motivations. Face à un patient énervé ou à un toxico en manque, on sait gérer. Je participe à des réunions de formation pour savoir comment répondre à ces situations, mais là…
On travaille sans rendez-vous, en accès libre, on prend les urgences des enfants, l’AME…
Exercez-vous dans un quartier particulièrement difficile ?
Le Village Parisien où se situe le cabinet est un quartier excentré. Ce n’est pas le meilleur de Drancy, mais ce n’est pas un quartier chaud. Quand j’ai fini ma journée, je rentre à pied. Je traverse deux cités et je n’ai jamais été inquiété. J’ai soigné beaucoup de jeunes de ces cités, et quand je passe devant un point de deal, ils me disent souvent : « Bonsoir docteur ». Ce ne sont pas les gens plus défavorisés qui vous attaquent, il faut le dire.
Dans quel état d’esprit êtes-vous ? Allez-vous fermer votre cabinet ?
Je le pense. Même avec ma figure dans cet état, je suis obligé de venir pour assurer un minimum de sécurité à ma femme, que nous soyons au moins deux au cabinet. On travaille sans rendez-vous, en accès libre, on prend les urgences des enfants, l’AME, on ne fait aucune discrimination envers les patients.
J’ai 64 ans, il me reste trois ans avant la retraite mais je raccrocherai certainement avant. Aujourd’hui, ce n‘est pas pour moi que je témoigne mais pour mes confrères. Une telle violence ne peut plus durer. Je me serais bien passé de cette expérience, mais si elle permet de faire bouger les lignes, cela aura au moins servi à quelque chose.
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