Face à l’essor des centres de soins non programmés ou « immédiats », à mi-chemin entre le cabinet médical et le service d'urgence, la profession comme les autorités réclament un cadre clair pour stopper certaines dérives. Des initiatives de régulation sont dans les tuyaux.
Du Grand Est à l’Auvergne-Rhône-Alpes en passant par la région Paca ou la Bretagne, les centres de soins non programmés ont fleuri sur tout le territoire depuis cinq ans. Selon un rapport de la Cour des comptes sur les urgences, ces structures libérales sont passées « de moins d’une vingtaine d’établissements en 2018 à plus d’une centaine en 2023 ». Et en 2025, il en existerait plusieurs dizaines supplémentaires.
Sous des dénominations variables, toutes revendiquent la prise en charge « rapide », « directe » et « sans rendez-vous », voire « non-stop », de patients pour des consultations imprévues ou des urgences légères, offrant une solution complémentaire à la médecine générale et une alternative aux urgences (lire aussi page 12).
Avec près de 40 centres ouverts – ou à venir –, CMSI France (réseau de centres médicaux de soins immédiats) dessine une nouvelle offre à horaires élargis (jusqu’à 19 h voire 20 h), proposant examens complémentaires ou gestes techniques. « Chaque patient qui consulte un CMSI en lieu et place des urgences réduit de 100 euros sa dépense de soins », vante le site de l’organisation. La Fédération française des centres de soins non programmés (FFCSNP) s’engage de son côté à « certifier » les cabinets qui respectent sa charte de fonctionnement et revendique 60 structures affiliées. Elle promet de développer des filières de soins dans chaque territoire où des besoins seraient identifiés. À côté de ce modèle, les « centres médicaux 7/7 », concept né en 2015 à Aubagne, se sont développés avec succès dans le Sud puis en Bretagne. Des médecins libéraux de secteur 1 y travaillent sur le même site ouvert de 9 h à 22 h, 365 jours par an… Une liste non exhaustive.
Colère des confrères libéraux
Ces centres, qui rendent un service évident dans certains territoires fragiles, ont poussé comme des champignons, parfois sans aucune concertation avec l’offre existante, ce qui a soulevé de nombreuses critiques. Désorganisation du parcours de soins, médecine « fast-food » sans suivi, concurrence déloyale, voire aspiration de jeunes praticiens qui se seraient destinés à la médecine générale libérale : autant de griefs récurrents exprimés aussi bien par les autorités que par des confrères libéraux.
Lors du récent colloque organisé par MG France sur les soins non programmés, Ludovic Verrier, référent Inter CPTS 69, a évoqué ces dysfonctionnements. Dans la région lyonnaise, « une structure privée a voulu s’implanter sans concertation avec l’écosystème local ni avec les CPTS, a-t-il confié. On a eu une hausse de 20 % des passages aux urgences à proximité de ces centres, une baisse des installations et même des départs de médecins pour aller dans ces structures. »
C’est ubuesque : travailler dans un centre de soins non programmés est beaucoup plus rentable que l’activité de médecine générale
Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France
Pour enrayer le développement désordonné de ces centres de soins non programmés, MG France a réclamé très tôt leur « encadrement strict ». « On doit stopper ce système ubuesque où travailler dans un centre de soins non programmé est beaucoup plus rentable que l’activité de médecine générale ou de médecine traitante », a recadré la Dr Agnès Giannotti. Pour la présidente du premier syndicat de généralistes, la montée en puissance de ces réseaux, souvent rattachés à des groupes privés, illustre aussi la financiarisation des soins primaires, un phénomène qui a déjà « avalé presque toute la radiologie et la biologie ».
Lutter contre les abus
L’Assurance-maladie a également alerté sur les dérives d’une offre non régulée, y compris sur le plan tarifaire. En épluchant l’activité proposée aux horaires de la PDSA par des centres de soins non programmés ou immédiats, l’Assurance-maladie a constaté un bond des actes non régulés majorés, véritable « effet d’aubaine ». D’où sa volonté de faire le ménage dans les tarifs des soins non programmés (régulés ou non, vraies urgences ou consultations inopinées), ce qui s’est traduit dans la convention signée en juin dernier. Mais ce tour de vis a abouti ces dernières semaines à de nouvelles stratégies de contournement pour continuer de facturer des majorations (lire ci-dessous). Pour stabiliser le cadre de régulation de ces centres, un cahier des charges « national » est jugé nécessaire par l’Assurance-maladie. « Nous serons très vigilants pour mettre les incitations financières au bon endroit », a prévenu Thomas Fatôme, DG de la Cnam, qui a promis de lutter contre les abus.
Le double objectif de clarification du fonctionnement et de lisibilité tarifaire concernant l’offre de soins non programmés est partagé par les syndicats. « Avant d’aller dans ces structures, les patients devraient avoir une sorte de ticket. Ce n’est pas la porte ouverte et le remboursement pour tout », s’agace la Dr Margot Bayart, vice-présidente de MG France. « Il faut trouver le moyen d’éviter les dérives de sociétés qui se montent avec des actes parfois de mauvaise qualité et qui coûtent cher… », analyse aussi le Dr Luc Duquesnel, chef de file des généralistes de la CSMF.
Bientôt un cahier des charges ?
En 2024, le législateur a voulu mettre de l’ordre. Une proposition de loi portée par le Pr Philippe Juvin, député LR des Hauts-de-Seine, alors cosignée par Yannick Neuder, actuel ministre de la Santé, proposait de créer « un statut spécifique » de centre d’urgence de proximité pour les structures disposant d’un petit plateau technique. Une initiative qui a fait long feu.
C’est désormais le PLFSS 2025 qui tente d’éclairer cet angle mort de la médecine de ville en labellisant des « structures de soins non programmés » ayant cette activité principale. Si l’article est adopté, le cahier des charges défini par voie réglementaire devra définir le fonctionnement, l’accessibilité, les délais, l’orientation dans le parcours de soins ou encore l’obligation pour les professionnels de participer aux gardes.
Mais jusqu’où l’exécutif, soucieux de multiplier les points d’entrée de soins sur le territoire en période de pénurie médicale, voudra-t-il (en)cadrer ? « Je ne suis pas monomaniaque, a déclaré le ministre de la Santé, Yannick Neuder, lors du colloque de MG France. Je crois qu'il y a des centres de soins non programmés qui participent grandement à la prise en charge des patients et d'autres moins. » Il juge qu’il y a « peut-être un nouveau mode d'exercice à trouver ensemble ».