LE QUOTIDIEN : L’été arrive et 65 services d’urgences sont en grève. Comment qualifiez-vous la situation ?
Dr FRANCOIS BRAUN : L’année dernière, on allait dans le mur. Cette année, nous y sommes ! Les services sont en train de lâcher. L’observatoire de la souffrance au travail (OSAT) des praticiens hospitaliers (PH) a enregistré davantage de déclarations de collègues en burn-out sur les quatre premiers mois de 2019 que sur tout 2018 !
À Tourcoing, à Lons-le-Saunier, la situation est dramatique. Cette souffrance, jusque-là médicale, s’est étendue aux paramédicaux. On embauche des infirmières en intérim, c’est du jamais vu. Nous sommes arrivés au bout du système. C’est pourquoi nous avons lancé le mardi 28 mai, à midi, une action symbolique sur les réseaux sociaux. Plus de 100 services d’urgences se sont mobilisés. Si rien n’est fait, la moitié des services d’urgences seront en grève cet été ou dans l’impossibilité de bosser.
Quelle est la priorité ?
Nous avons besoin d’un plan Marshall pour les urgences. Qu’on nous donne de l’oxygène pour passer l’été ! Directeurs d’hôpital et ARS doivent maintenir à tout prix l’activité des urgences cet été. Quand un service tourne sans médecins, on nous dit : « Débrouillez-vous ». Non ! Ça suffit ! Les PH dont l’activité ne relève pas de l’urgence doivent désormais s'investir davantage et venir faire leur boulot aux urgences.
Nous n’avons pas besoin de plus d’urgentistes mais de plus de temps. 40 à 50 % de notre activité ne relève pas de l’urgence. Certains services ne font plus d’entrées directes de patients et préfèrent les faire passer par chez nous, c’est plus confortable, les examens complémentaires sont faits. Eux peuvent se permettre de fermer des lits en été, nous non.
Les médecins libéraux sont-ils en partie responsables de la saturation des urgences ?
Depuis 2003 et la fin des gardes obligatoires, les généralistes nous disent eux aussi en substance : « Débrouillez-vous ». Or, si l’activité augmente aux urgences, c’est en partie par défaillance de la médecine de ville. Ce n’était pas le cas il y a 15 ans. Les pouvoirs publics ont laissé faire par complaisance. Cet été, les libéraux vont probablement tous partir en même temps en vacances, comme à chaque fois, et les conseils départementaux de l’Ordre ne diront rien, comme à chaque fois. Non, ce n’est plus possible ! C’est de la responsabilité de l’Ordre des médecins de maintenir la permanence des soins sur les territoires pendant les vacances.
Comment reconstruire les urgences ?
Le gouvernement doit se positionner sur la question suivante : en quoi consiste le travail d’un urgentiste ? Si demain, il continue de tout faire, il nous faudra non pas davantage d’urgentistes, mais probablement davantage de généralistes formés à l’urgence. Si en revanche, il se recentre sur son cœur de métier, les effectifs actuels suffisent. Dans les deux cas, nous avons besoin d’un cap et d’échéances clairs.
Pour diminuer la pression, SAMU-Urgences de France défend la gradation des établissements disposant de services d’urgences et la mise en place d’équipes territoriales médicales en temps partagé sur plusieurs services d'urgences d’un même GHT. La rémunération doit être incitative et intéressante, par exemple 1 000 euros par mois pour un praticien qui exerce dans deux services à mi-temps.
Nous discutons avec le ministère de la possibilité de mutualiser deux lignes de SMUR la nuit en cas de très faible activité, en imaginant un système au cas où le médecin restant dans le service sort en SMUR. Ce dispositif a déjà été déclenché en cas de nécessité, il s'agit de mieux le cadrer, voire d'accepter la fermeture nocturne d'un service, transformé en antenne, pour ne laisser qu'un seul SMUR. Notre concertation devrait aboutir à la fin de l’été.
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Dr François Braun : « Qu’on nous donne de l’oxygène pour passer l’été ! »
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