Depuis l’avènement d’Internet, les psychologues d’entreprises se sont intéressés à l’impact sur la qualité du travail de l’interruption des tâches. En effet dans un contexte de plus en plus prégnant d’ « immédiateté », comment répondre aux flux ininterrompus de messages et de fils d’actualité qui se conjuguent à des appels téléphoniques sur plusieurs lignes (professionnelle, cellulaire et personnelle) simultanément. En 2008 déjà, des psychologues du travail allemands concluaient que les interruptions de tâches obligent les personnes à changer de rythme, à mobiliser des ressources cognitives et attentionnelles pour s’orienter vers un sujet différent ; et qu’un délai est nécessaire pour revenir à l’état mental nécessaire pour la tâche initiale.
Les urgentistes interrompus 12,5 fois par heure
Qu’en est-il pour les médecins ? Comme tous les autres travailleurs, ils sont eux aussi désormais de plus en plus souvent dérangés dans leurs taches de soins. De ce fait, le risque de mauvaise prise en charge des patients est majoré, tout comme celui des véritables erreurs médicales. Le stress des soignants augmente lui aussi.
L’équipe du Dr Raj Ratwani (Washington DC, États-Unis) s’est intéressée à la population des urgentistes : ces médecins sont très souvent sollicités au cours de leur exercice, en raison même de la nature des services d’urgences dans lesquels un flux continu de patients potentiellement atteints de maladies graves vient consulter. Parmi les spécialités médicales, la médecine d’urgence est celle qui est reconnue comme la plus multitâches par le panel de pathologies et le nombre de patients rencontrés.
L’enquête a été menée dans trois services d’urgences réalisant 36 000 à 91 000 passages par an. Les médecins ont été suivis pendant leur plage de travail (7 h-15h, 15h-23 h ou 23h-7 h) par un observateur indépendant.
En moyenne, chaque urgentiste était interrompu 12,5 fois par heure et la durée de chaque interruption était en moyenne de 31,8 secondes. Il s’agissait d’interruption par les patients dans 1,1 % des cas, par des familles (2,5 %), par un appel téléphonique (9,2 %) ou par d’autres soignants (82,5 %). Dans 44 % des cas, le médecin était interrompu alors qu’il travaillait sur un ordinateur.
Au total, près des trois quarts des interruptions ont obligé le médecin à suspendre sa tâche en cours, seuls 22 % arrivaient à mener plusieurs actions de front. Seuls 0,8 % des recours ont été suivis d’un refus ou d’un délai dans le changement de tâche.
Comment gérer en pratique ?
L’équipe du Dr Raj Ratwani propose différentes méthodes qui permettent de mieux gérer les interruptions de tâches en pratique clinique quotidienne.
- Avant de répondre à votre interlocuteur, prenez quelques secondes de silence pour faire un point mental sur le niveau d’achèvement de votre tâche en cours : qu’ai-je déjà fait ? Que me reste-t-il à faire ?
- N’hésitez pas à recourir aux notes intermédiaires, en faisant par exemple une liste des actions en cours et de leur niveau d’achèvement, afin de prendre les actions là où elles avaient été suspendues. Des Post-it sur l’ordinateur ou un surlignage informatique des dossiers médicaux peuvent être aussi utiles.
- Refusez catégoriquement d’être dérangé pendant des actions à risque d’erreurs médicales. Ainsi, n’hésitez pas à dire à votre interlocuteur – sans même le regarder si nécessaire – « je suis en train de prescrire un traitement, pour éviter de commettre des erreurs, je vous répondrais lorsque j’aurai terminé ».
-Puisque 40 % des interruptions surviennent lorsque le médecin travaille sur son ordinateur, préférez les logiciels médicaux qui ne se déconnectent pas dans un délai court s’ils n’ont pas été utilisés. Aux urgences, les postes de travail devant être accessibles à tous, les logiciels déconnectent les sessions non utilisées en moins de deux minutes.
- N’hésitez pas à proposer des réunions d’équipe sur le sujet : si les médecins sont interrompus, c’est souvent parce que les infirmières, les internes ou les aides soignants subissent un stress aigu. Les informer que les interruptions sont aussi le pour le médecin un facteur de stress peut limiter les recours injustifiés à un avis médical.
- Demandez à mettre en place des zones dans lesquelles les médecins ne peuvent pas être dérangés et identifiez les urgentistes dont le cours du travail ne peut pas être interrompu.
Mark G, Gudith D, Klocke U. The cost of interrupted work : more speed and stress.
Ratwani R, Fing A, Puthamana J et coll. Emergency pgysician use of cognitives strategies to manage interrupions. Ann Emerg Med. 2017 Nov;70(5):683-687. doi: 10.1016/j.annemergmed.2017.04.036.
Hôpitaux de Marseille : « l’affaire Adida est une déflagration », juge le DG de l’AP-HM François Crémieux
Santé des soignants : deux prix pour valoriser l’engagement des blouses blanches pour leurs pairs
Accès aux soins psy : l’alerte de la FHF
Directeur d’hôpital, un « métier exigeant et d’engagement » dont il faut « prendre soin », plaide l’ADH