Un patrimoine de France

Comment les terroirs ont façonné le foie gras

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Publié le 29/10/2021
Bonne nouvelle, il y aura du foie gras à Noël. Entre tradition et modernité, la filière a toujours su s’adapter aux crises et évolutions du marché. Et c’est pour conserver sa place de patrimoine gastronomique qu’elle a lancé une vaste opération portes ouvertes.
Les oies sont engraissées avec une bouillie de maïs

Les oies sont engraissées avec une bouillie de maïs
Crédit photo : Pommier

Les escalopes de foie gras sont découpées à la main avant d'être conditionnées

Les escalopes de foie gras sont découpées à la main avant d'être conditionnées

Outre le foie gras, un palmipède engraissé donne du magret et du confit

Outre le foie gras, un palmipède engraissé donne du magret et du confit
Crédit photo : DR

Les oies et les canards à foie gras sont systématiquement élevés en plein air, ils y passeront 90 % de leur vie

Les oies et les canards à foie gras sont systématiquement élevés en plein air, ils y passeront 90 % de leur vie
Crédit photo : DR

La mélangeuse répartit l'assaisonnement des foies

La mélangeuse répartit l'assaisonnement des foies
Crédit photo : Pommier

Une ouvrière tâte chaque foie à la main pour déterminer sa qualité

Une ouvrière tâte chaque foie à la main pour déterminer sa qualité
Crédit photo : DR

De nombreuses idées reçues circulent sur le foie gras, c’est pourquoi l’interprofession du foie gras, le Cifog, a souhaité, pour la deuxième année consécutive, ouvrir ses portes au public à l’occasion des journées du patrimoine, les 18 et 19 septembre derniers.

Depuis 2006, le foie gras est reconnu par le Code rural comme « patrimoine culturel et gastronomique de France ». Aujourd’hui, il est principalement produit dans le Sud-Ouest (70 %) et en Bretagne et Pays de la Loire (30 %), mais on en trouve également en Alsace, Auvergne, Normandie…

Souvent comparée à tort à la stéatohépatite non alcoolique (Nash), la possibilité de développer un foie gras est spécifique aux palmipèdes migrateurs, qui peuvent parcourir des milliers de kilomètres sans s’alimenter, et donc doivent stocker au préalable. Elle est totalement réversible en quelques jours, le foie perdant 10 g par heure. Ce sont les Égyptiens qui ont découvert ce processus chez les oies il y a 4 500 ans, et on retrouve, dans la nécropole de Saqqarah, des bas-reliefs montrant leur gavage avec des figues.

En France, c’est le développement démographique au XVIIe et XVIIIe siècles qui a conduit à entreprendre des cultures nouvelles, notamment le maïs, qui n’était pas taxé. L’élevage de palmipèdes, dont c’est l’aliment principal, a alors représenté un complément intéressant. Pour les paysans Alsaciens, la graisse, la viande et le foie gras, conservés dans des pots en grès, sont un apport indispensable pour faire face aux besoins de l’hiver.

Mais ce n’est que tardivement que les foies gras commenceront à sortir de la ferme, pour être vendus sur les marchés. Au XIXe siècle, Strasbourg et Toulouse se disputent le titre de « capitale du foie gras », les grandes maisons se développent et les « marchés au gras » se structurent, dont certains restent fameux aujourd’hui : Samatan, Brive, Périgueux, Sarlat, etc.

Un savoir-faire minutieux

De cette histoire, découle l’organisation actuelle de la filière, qui comporte des élevages en circuit court et d’autres plus structurés qui s’articulent autour d’une coopérative.

À la ferme de la Garrigue Haute, à Prats-de-Carlux (Périgord), on réalise en famille toutes les étapes de la production de foie gras : l’élevage des oies et canards, leur engraissement, la transformation, la vente directe, et même la restauration, avec une ferme-auberge et des chambres d’hôtes. « C’est un métier d’accueil », explique le dynamique Florian Boucher, septième de sa génération d’éleveurs, installé depuis 2003 après un BEP agricole puis de tourisme rural et un BTS de comptabilité-gestion. Avec seulement 25 hectares de sols pauvres, l’agroécologie est ici, depuis toujours, une évidence plus qu’une conviction, les cultures et l’élevage s’optimisent l’un-l’autre. Élevés en extérieur, les oies et les canards apprécient la sécurité des noyers, qui représentent une production d’appoint importante. Et le maïs, s’il sert à gaver les animaux, est aussi séché pour servir de litière.

Pour Angelina Thibault de la Carte et Corentin Dassouville, jeunes parents installés comme gaveurs à Dampniat (Corrèze), la monoactivité est au contraire une bonne façon de concilier leur vie d’éleveur et de famille. Deux fois par jour pendant douze jours, ils réalisent le gavage de chacun 1 000 canards, avec un vide sanitaire entre deux lots, qui leur permet une vraie coupure. Cette étape fait, là aussi, appel à une caractéristique physiologique des palmipèdes, qui avalent occasionnellement des poissons entiers et possèdent pour cela un jabot extensible dépourvu de glotte. En quelques secondes, d’un geste délicat, Corentin insère l’embuc de la taille d’une pièce d’un euro et délivre une quantité précise, qui augmente très progressivement à partir du volume naturellement ingéré en fin d’élevage.

L’élevage, c’est la spécialité de la famille Morize, qui a investi à Saint-Projet (Lot) dans un bâtiment high-tech et ses 7 ha de parcours extérieur, qui permettent de recevoir dans des conditions optimales 10 000 canetons d’un jour pour les élever, entre 82 et 86 jours. « Chaque lot est différent. Les huit premiers jours sont stratégiques. On déplace les abreuvoirs pour accompagner les canetons dans l’utilisation du parcours », explique Ghislaine, technicienne d’élevage de la Quercynoise, une union de coopératives qui gère les palmipèdes sur le Lot et les départements limitrophes (Aveyron, Corrèze), soit deux cents agriculteurs.

L’union pour aller plus loin

Cette organisation s’est mise en place à partir des années soixante-dix, alors que les producteurs sont confrontés à des difficultés à écouler leurs produits, faute d’activité structurée. « Il faut des outils pour exporter notre valeur vers les sites de consommation », analyse Pierre-Olivier Prévot, directeur général de la coopérative Capel, qui fait partie de la Quercynoise.

Ce groupement s’est ainsi doté de son propre outil d’abattage, de découpe et de transformation, à Gramat (Lot), qui produit trois gammes complètes de foies gras, confits et magrets. Le site transforme chaque année environ 2 millions de canards, il emploie 450 salariés, pour 30 millions d’euros de CA. « C’est un produit faussement simple, explique Jean-Luc Fouraignan, le directeur de l’usine. Nous réalisons l’abattage à deux heures du matin, et tous les foies doivent être traités dans la journée. » Chaque foie est tâté à la main par une ouvrière spécialisée, qui détermine ainsi sa qualité et la rémunération de l’éleveur.

« La contractualisation dont on parle tant, c’est une réalité depuis longtemps pour la filière foie gras ! », souligne fièrement le président de la Quercynoise, Gérard Lavinal : « nous produisons ce que nous pensons vendre : l’éleveur est assuré avant de commencer un lot qu’il sera vendu et sa rémunération est garantie. » Donc, quand les prix des matières premières augmentent, celui des produits finis aussi.

Une filière menacée

Face à la crise de l’influenza, qui a frappé durement la filière et menace toujours, les éleveurs se sont accordés, lors d’un accord interprofessionnel le 4 octobre dernier, pour notamment pour diminuer la densité de leurs élevages afin de pouvoir respecter les arrêtés de mise à l’abri le cas échéant. L’idée est d’éviter d’avoir à connaître de nouveau des ruptures. « Il y aura du foie gras à Noël », assure le président du Cifog, Éric Dumas, malgré une chute de production cette année — avec 21 millions de canards au lieu de 30 une année normale, et 200 au lieu de 400 000 oies — les fermetures de restaurants en 2020 ont permis de conserver des stocks.

Ces fermetures ont paradoxalement stimulé les achats à domicile, avec 1,2 millions de nouveaux consommateurs, 93 % des Français mangent du foie gras, dont 6 % plus d’une fois par an. Le marché est très saisonnier, à 80 % lors des fêtes de fin d’année.

Il existe de nombreuses présentations différentes, dont les appellations sont réglementées. Le « foie gras entier » correspond à un seul foie (la coloration est uniforme) ; « foie gras » quand il y en a plusieurs (ce qui donne l’aspect marbré) ; « bloc de foie gras » quand ils sont émulsionnés et enfin « bloc avec morceaux ». Les assaisonnements autorisés sont le sel, le sucre, les épices et aromates, les eaux-de-vie, vins et liqueurs. À cela s’ajoute le type de préparation : cru ; prêt à consommer : mi-cuit (pasteurisé) ou en conserve. L’ultrasurgélation des escalopes est désormais plébiscitée par les grands chefs, on peut les poêler telles quelles. Quant à la conserve, il faut savoir qu’elle s’améliore avec le vieillissement. Les amateurs recommandent de patienter 6 ans pour une dégustation idéale (la DLC est de 4 ans) ; l’astuce : y associer une bouteille millésimée de l’année, qu’on ouvrira en même temps.

Du bon gras

Et la nutrition dans tout ça ? Avec environ 500 kcal/100 g, pas de secret, le foie gras est très énergétique, « mais ce ne sont pas des calories vides, souligne la Dr Laurence Plumey (Paris). Plus de la moitié de ses lipides [56 g/100g] sont des acides gras monoinsaturés oméga 9. Et il est très riche en vitamines A, B12 et fer, ce qui le rend nutritionnellement intéressant, d’autant que ça reste un aliment plaisir. » Un produit emblème de la culture Française, qui participe à la vitalité des territoires. Depuis 2019, le logo « Foie Gras de France », permet de reconnaître les produits issus d’animaux nés, élevés, engraissés en transformés dans notre pays, une garantie prisée des consommateurs. Prochain défi : le faire afficher par les restaurateurs, qui drainent 40 % du marché.

Voyage de presse organisé par le Cifog

Dr Charlotte Pommier

Source : lequotidiendumedecin.fr