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Etudes de médecine

Burn-out, les internes aussi

Publié le 29/01/2016
Burn-out, les internes aussi

ouverture
APHP-COCHIN-VOISIN/PHANIE

Ils sont 11 000 praticiens en herbe à se former actuellement en troisième cycle de médecine générale. Comment vont-ils ? Le titre volontaire - « Dépassons les frontières ! » - du 17e Congrès de l'ISNAR-IMG inclinerait plutôt à l'optimisme. Pour autant, ces derniers temps, les témoignages et les recherches montrent que le burn-out n'épargne pas non plus la nouvelle génération.

Et dire qu'on présente cette génération comme celle des enfants gâtés de la médecine ! Courtisés, mieux formés que leurs aînés, les quelque 11 000 internes en médecine générale ont, de fait, l’embarras du choix et voient toutes les portes s'ouvrir devant eux… Et pourtant, depuis quelques années, des chercheurs alertent sur un phénomène jusque-là passé sous silence : à l’instar de leurs aînés, le blues atteindrait aussi les jeunes pousses de la discipline. Si l’on en croit une toute récente méta-analyse du JAMA, le phénomène ne serait d'ailleurs pas si neuf et pas spécifique à la médecine générale : sur les cinquante dernières années, un quart des étudiants en médecine dans le monde présentaient une symptomatologie dépressive.

Mais, dans ce panorama, de récentes études montrent que les futurs généralistes morflent aussi. En décembre, une étude sur les internes de Poitiers avançait même que le syndrome d’épuisement professionnel toucherait 50 % d’entre eux et que 13 % seraient sous anxiolytique. Des chiffres constants puisque déjà en 2011 une thèse sur les internes en médecine générale montrait que près de la moitié d’entre eux (46,5 %) se sentait menacés par le burn-out. Une proportion qui se rapproche de celle de leurs aînés.

Les premières estimations inquiètent, et pourtant, le burn-out des internes reste assez peu mesuré. Didier Truchot, professeur de psychologie sociale du travail et de la santé à l'université de Franche-Comté, souligne qu’il y a « très peu de travaux récents sur le burn-out spécifique aux internes » dans la littérature française ou internationale. Selon lui, l’amplitude horaire et la charge de travail sont des déterminants importants du burn-out des professionnels de santé quel que soit leur statut. Et, sans faire abstraction, bien sûr, des problématiques individuelles, il existerait des particularités au burn-out des internes, qui le distingue de celui dont peuvent être victimes leurs aînés.

 

Le poids de la hiérarchie


Question de cadre de travail d’abord. L’interne de médecine générale fait une grande partie de son internat à l’hôpital et donc en équipe. La relation au chef d’équipe notamment peut être un déterminant du burn-out : « Les internes sont dans un milieu salarié, ils sont donc proches des problématiques de salarié, d’équipe, de hiérarchie, de chef, d’exploitation de l’homme par l’homme qui est ici légitimé sous prétexte de médecine : on ne s’absente pas car il faut sauver les patients, tu ne peux pas aller en cours car si tu n’es pas là les autres auront trop de boulot, etc. », explique le Pr Éric Galam coordonnateur de l’Association Aide aux Professionnels de santé et Médecins libéraux (AAPML). « L’interne se dit : “Mais si je ne suis pas là qui va faire mon boulot ?” Mais ça, c’est un mythe qu’il faut briser, parce qu’en général c’est là qu’on voit réapparaître les seniors », note Ariane Mussedy*, ancienne IMG et auteure du livre « Internez-nous ». « En plus, il y a toujours la peur de ne pas voir son stage validé qui nous pousse à faire tout ce que l’on nous demande », ajoute-t-elle.

 

 

Manque de reconnaissance et d’identification


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Les internes se plaignent d’un manque de reconnaissance qui contribue au burn-out


Et dans la relation avec la hiérarchie, le statut particulier de l’interne rend les choses encore plus complexes. « Chez les internes, on voit souvent apparaître le sentiment de vivre une relation pas équitable avec les responsables d’équipe. Ils se plaignent d’un manque de reconnaissance qui constitue également un stresseur qui contribue au burn-out », note Didier Truchot. En effet dans leur thèse en 2011 Antoine Le Tourneur et Valériane Komly, montraient que 78,5 % des IMG s’estimaient peu ou pas du tout reconnus à leur juste valeur de manière générale dans leur cursus et 34,7 % déclaraient n’avoir reçu peu ou pas du tout de reconnaissance de la part de leur senior au cours de leur formation. « Il y a très peu de chefs qui sont capables de nous dire merci une fois de temps en temps », confie Alice**, IMG et récemment en burn-out.

 

Rapport maître/élève d’autant plus complexe que le statut de l’interne est multiforme : à la fois étudiant en apprentissage, mais en charge de lourdes responsabilités. Une ambiguïté qui participe à la difficulté qu’à l’interne à « trouver sa place et son rôle au sein de l’équipe ou du service », explique Marie Thévenet dans une thèse en 2011 sur le burn-out des IMG. Un manque d’identification accentué par tout ce qui fait les particularités de l’internat. « Tous les six mois, on change de stage et, sans parler d’être reconnu, personne ne nous connaît et cherche à apprendre nos prénoms », confie Ariane Mussedy, « comme les internes sont des petites mains corvéables à merci, on va tout faire : ramasser les poubelles, faire des photocopies ou un massage cardiaque, donc il y a une confusion pour pouvoir définir son rôle et sa légitimité ».

 

La peur de l’erreur


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L’interne est en sur-régime professionnel à cause de la charge de travail mais aussi parce qu’il doit apprendre


D’autant que l’interne n’a pas, par définition, l’assurance de ses aînés dans ses propres compétences : « Tout le monde est en formation, mais l’interne encore plus. Il est en sur-régime professionnel à cause de la charge de travail mais aussi parce qu’il doit apprendre des choses. L’interne prend conscience de ce pouvoir exorbitant qu’il a de faire mourir ses patients, mais il faut dédramatiser cela », confie Éric Galam. « La gestion des émotions, la confrontation à la douleur, à la mort, ce sont des apprentissages et ils ne sont pas encore bien mis en place chez tous les internes », ajoute Didier Truchot.

Le fait d’être pris en charge uniquement par moi est une perte de chance pour certains

Alice, IMG

Ce lien burn-out/manque de confiance en soi est mis aussi en évidence par Antoine Le Tourneur et Valériane Komly : parmi les internes en médecine générale, ceux qui se disent anxieux de faire des erreurs médicales se sentent plus menacés par le burn-out (54,3 % contre 37,7 %). « J’avais l’impression que si je prenais en charge ces patients, eh bien, ils allaient mourir tout simplement », raconte Alice au sujet de gardes pour lesquelles elle n’était pas qualifiée. « Je suis consciente que je ne prends pas en charge les patients comme je le devrais et que le fait d’être pris en charge uniquement par moi est une perte de chance pour certains », ajoute-t-elle. Le sentiment d’être abandonné à son sort et pas suffisamment encadré, assez prégnant chez les internes semble-t-il, participe à leur isolement. « Quand on nous dit : “J’ai dû décider tout seul s’il fallait réanimer, il n’y avait rien dans le dossier, je n’ai pu parler à aucun senior”, c’est qu’il y a un problème d’organisation et d’accompagnement de ces jeunes médecins, mais également de santé publique, car c’est aussi mauvais pour les patients », explique Éric Galam.

 

Briser la loi du silence


Plus ou moins dramatiques, les effets du burn-out des internes se traduisent de multiples façons : « Il y a des troubles somatiques importants - maux de ventre, maux de tête… - et des prises d’anxiolytiques et d’antidépresseurs relativement importantes liées au burn-out », souligne Didier Truchot. Aujourd’hui, les autorités et les universités semblent vouloir prendre le problème à bras-le-corps. Marisol Touraine et la DGOS ont reçu les syndicats d’internes pour discuter du sujet, l’AP-HP a mis en place un service censé travailler sur le sujet, plusieurs universités intègrent petit à petit le sujet dans leurs formations. Mais le problème reste largement tabou dans le monde des internes. Question de statut encore : « Dans certains boulots, dire qu’on est en burn-out c’est quasiment valorisant, mais, dans d’autres, ça peut vouloir dire qu’on n’est pas fait pour la profession. Quand on est en situation d’apprentissage, comme c’est le cas pour les internes, on risque de le cacher pour ne pas être renvoyé à un stigmate, une image d’incompétence », explique Didier Truchot.

 

D’aucuns suggèrent, par ailleurs, que la compétition entre internes expliquerait aussi la loi du silence. « Quand je n’étais pas là parce que je n’allais pas bien, je ne donnais pas la vraie raison à mes co-internes », confie Ariane Mussedy. Question culturelle aussi, qui pousse à considérer, pendant l’internat, les situations extrêmes comme quasi normales. « C’est comme ça qu’on apprend », a entendu à l’envi Alice de la part des seniors. Un « tout le monde en passe par là » qui pousse finalement chacun à se taire. « Les infirmiers m’ont conseillé de ne surtout rien dire ; parmi les autres internes, certains m’ont dit “tu as bien fait”, d’autres “pourquoi tu ne les as pas faites ces gardes ? T’avais qu’à fermer ta gueule.” Beaucoup ont reconnu que j’avais eu du courage parce qu’eux auraient pleuré tranquillement dans leurs chambres mais n’auraient rien dit », raconte Alice. En parler est peut-être donc déjà le début d’une solution, mais pas n’importe comment, insiste Éric Galam : « La problématique du silence est très intéressante. Aujourd’hui on parle beaucoup du burn-out, mais c’est aussi une façon de ne pas en parler. Si tout le monde est en burn-out, finalement personne ne l’est et celui qui l’est vraiment se tait ».

*Pseudonyme. **Le prénom a été modifié.

Dossier réalisé par Amandine Le Blanc