Quatre ans après Charlie Hebdo : le trouble du stress post-traumatique n'épargne personne

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Publié le 07/01/2019
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Crédit photo : AFP

Du 7 au 9 janvier 2015, la France a fait face à une série d'attentats survenus successivement au journal Charlie Hebdo et au supermarché Hyper Casher à Paris. Quelles sont les conséquences sur les survivants de ces événements tragiques ? Des études épidémiologiques sont actuellement menées pour mieux comprendre l'impact sur la santé des personnes exposées de près ou de loin aux attentats.

« Il est impératif de mener ces recherches pour mieux prévenir et soigner les conséquences négatives de tels évènements et, ainsi, renforcer notre résilience au terrorisme et aux autres traumatismes collectifs », écrit Lise Eilin Stene du Centre norvégien d'études sur la violence et le stress traumatique d'Oslo dans l'éditorial du « Bulletin épidémiologique hebdomadaire » (BEH) du 13 novembre 2018.

Une des principales conséquences de tels traumatismes est la survenue de trouble de stress post-traumatique (TSPT), qui se caractérise notamment par des pensées intrusives et des symptômes d'évitement. « La prévalence de TSPT en France se situe autour de 1 % », précise le Dr Philippe Pirard, médecin épidémiologique à Santé publique France (SpF).

Des conduites addictives à surveiller

Présentée dans le BEH, l'étude IMPACTS a été lancée par SpF et l'Agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France à la suite des attentats de janvier 2015. Au total, 190 volontaires issus de la population civile exposée aux attentats - directement menacés, témoins ou proches des victimes - ont répondu à des questionnaires quelques mois après les événements.

Parmi eux, 18 % présentaient un TSPT. « Au total, près de 40 % des personnes souffraient de troubles mentaux dont la sévérité variait selon l’exposition : les personnes les plus touchées étaient celles ayant été directement menacées et celles qui étaient proches de victimes, voire endeuillées », notent les auteurs. De plus, « des conduites addictives compliquent fréquemment le TSPT et doivent être surveillées, car elles freinent le processus de résolution du TSPT », alerte le Dr Pirard.

L'enquête ESPA 13-novembre a été menée par SpF 8 à 11 mois après les attentats de novembre 2015, auprès de 575 civils volontaires. 54 % des personnes menacées directement présentaient un TSPT probable, de même que 27 % des témoins sur place et 54 % des personnes endeuillées non présentes sur les lieux des attentats. Des syndromes dépressifs et un recours aux psychoactifs ont aussi été observés.

Par ailleurs, près de 46 % des personnes ayant un TSPT probable ne bénéficient pas d'un suivi psychologique régulier. Cette proportion est de 63 % chez les témoins, de 46 % pour les endeuillés non exposés et de 33 % chez les menacés directs. « Ces deux études soulignent l'importance d'élargir l'accès aux soins à l'ensemble des populations concernées, y compris aux témoins et aux proches endeuillés », estime le Dr Pirard, qui a coordonné ESPA 13-novembre. Les deux études se poursuivent et permettront d'obtenir des résultats sur l'impact à plus long terme des attentats.

Quel impact sur les enfants ?

Au CHU de Nice, le Pr Florence Askenazy et son équipe mènent une étude pour « comprendre les impacts pédopsychiatriques d'un attentat de masse et caractériser les facteurs de risque et de protection qui interfèrent sur le devenir des jeunes patients ». À ce jour, 250 mineurs, témoins de l'attentat de juillet 2016 sur la promenade des Anglais, ont été inclus avec leurs parents. Ils seront suivis à travers des évaluations cliniques et neurocognitives notamment, jusqu'à leurs 25 ans.

Si les résultats n'ont pas encore été publiés ni validés, la pédopsychiatre évoque déjà « une forte proportion de TSPT ». « Nous observons davantage de comorbidités chez les enfants par rapport aux adultes : trouble de déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), phobie, énurésie…, précise-t-elle. Par ailleurs, plus l'enfant est jeune, plus il risque d'être impacté par le traumatisme ».

Des TSPT 3 ans après

Le programme de recherche transdisciplinaire13-Novembre (memoire13novembre.fr/) porté par le CNRS, l'INSERM et Hesam Université, avec le soutien des Investissements d'avenir, a vocation à « étudier la construction et l’évolution de la mémoire individuelle et collective des attentats du 13 novembre 2015 ».

Il s'articule notamment autour de l'étude 1 000. « Notre objectif était de recueillir le témoignage de 1 000 volontaires au cours de quatre entretiens sur 12 ans : nous sommes parvenus à 934 volontaires en 2016 », présente Denis Peschanski, historien et codirecteur du programme. Les volontaires, dont les témoignages ont été filmés, étaient aussi bien des personnes directement exposées aux attentats que des personnes vivant dans des villes de province. Deux premières séries d'entretiens ont déjà été réalisées. Les analyses scientifiques ne sont pas encore disponibles, mais Denis Peschanski rapporte « un bouleversement massif dans la vie des rescapés ». En particulier, ils sont nombreux à avoir changé de profession pour des raisons psychologiques.

Parmi les 934 volontaires, près de 200 ont été inclus dans l'étude biomédicale REMEMBER du programme 13-Novembre : 120 ont été exposés directement et 70 ne l'ont pas été - elles vivent à Caen (groupe contrôle). « La moitié des personnes exposées ont développé un TSPT », précise le neuropsychologue Francis Eustache, qui supervise ce projet à Caen.

Pendant 2 jours, les volontaires sont soumis à des IRM et à des tests neuropsychologiques. « Notre objectif est de comprendre pourquoi certaines personnes vont présenter des troubles et d'autres non, explique le neuropsychologue. Trois ans après, les personnes exposées sont encore très affectées et le TSPT reste très présent chez beaucoup d'entre elles ».

Charlène Catalifaud

Source : Le Quotidien du médecin: 9713