SON CABINET et sa maison, dans la même rue, sont aux premières loges. Chaque jour, sous ses fenêtres, Nagui, dentiste à Alexandrie depuis 34 ans, voit défiler les manifestants. Au lendemain de la protestation monstre du 30 juin, « il n’y avait aucun grabuge, les gens dansaient ». L’ambiance a subitement basculé avec la destitution du président Mohamed Morsi, élu président tout juste un an auparavant. Trois adolescents sur une terrasse sont morts, abattus par les partisans de l’ancien chef d’État. La semaine dernière, 18 hommes armés ont bloqué la rue de Nagui. Forcément, les patients sont plus rares. « Je leur conseille de venir tard, explique le dentiste. Heureusement, l’armée nous protège ». Arménien catholique, Nagui rêve d’un stage au CHU de Bordeaux. Il quittera l’Égypte si la situation empire : « Des églises sont attaquées. Une balle perdue, on ne sait jamais ».
Toute la population est en proie au stress. « Un stress chronique généralisé, très marqué depuis un an », observe le Dr Jaouiche. Ce psychiatre prescrit « légèrement plus » de psychotropes. La famille et les amis sont d’un grand soutien pour les traumatisés, les blessés. La vie suit son cours, coûte que coûte. Le Dr Jaouiche aimerait que son fils quitte Le Caire. Mais lui, le père de famille, se dit « plein de rêves » : « Le peuple égyptien a confiance en sa destinée ».
Ne pas mélanger les patients pro et anti-Morsi.
La foi, cette pneumologue d’Alexandrie, qui a tenu à rester anonyme, l’a encore, elle aussi. Foi en son métier de médecin, en l’avenir de son pays. Mais les conditions de travail sont si dégradées que la fatigue affleure. « À l’hôpital, on essaie de détendre les gens, confie-t-elle. En cas de violence, on hésite à appeler la police ou l’armée car on sait que c’est tendu avec les Frères musulmans. On soigne tous les patients, mais on les trie dans les chambres. Les Frères musulmans ne veulent pas être mélangés avec les anti-Frères. Même entre collègues, ça chauffe dès qu’on commence à parler de politique ».
Le Dr Sabry Ghaly dirige un hôpital au Caire. Son personnel compte quelques salafistes. Alors, pour éviter les accrochages, ce médecin a imposé une règle : interdiction de parler politique durant le service. Depuis le début des événements, le Dr Ghaly ne vit plus au jour le jour, mais heure par heure. « Un mini-bus escorte les équipes entre l’hôpital et les domiciles. Chaque fille qui rentre le soir me laisse un message sur le portable ». À ce jour, un seul employé a été blessé en quittant l’hôpital de deux balles dans la jambe.
De nombreux praticiens ont fui l’Égypte.
Une compagnie privée assure la sécurité de l’établissement, au cœur du quartier résidentiel Maadi, que les étrangers ont déserté. Un portique à l’entrée détecte les armes - il y en aurait 12 millions en circulation. Coût du gardiennage : 6 000 euros par mois. « Je n’ai pas le choix, reprend le Dr Ghaly. L’été dernier, nos coffres forts ont été cambriolés. Le stress est vraiment lourd. Depuis le 21 juin, quatre salariés ont arrêté de travailler. Deux sont partis au Canada, deux restent à la maison. Depuis 2010, de nombreux médecins ont quitté le pays. Des orthopédistes, des chirurgiens, des pharmaciens... Et le professeur qui a fondé l’unique service de greffe de moelle osseuse d’Égypte, un ami ».
Avant la révolution, trouver un lit de soins intensifs n’était déjà pas aisé. C’est encore plus corsé aujourd’hui. Les transports sanitaires sont aussi en grande souffrance. Il a fallu quatre jours pour transférer quelqu’un du Sinaï au Caire. Une urgence, un pneumothorax. Le patient, employé d’une compagnie de pétrole, a joué de malchance : tous les hôpitaux étaient bouclés à son arrivée. La veille, Le Caire avait connu un bain de sang devant le siège de la Garde républicaine. « J’ai fini par lui trouver une place, j’espère qu’il va s’en sortir », glisse le Dr Ghaly.
La débrouille pour survivre.
Le Pr Yehia Halim Zaki, ancien doyen de faculté de médecine, note que la fragilité du système de santé égyptien ne date pas d’hier. « Il y a une pénurie infirmière extraordinaire, de gros problèmes de logistique et d’administration ». Certains médicaments manquent, les vaccins surtout. Plus une ampoule pédiatrique contre l’hépatite A dans toute l’Égypte, alors c’est la débrouille : les ampoules pour adulte sont fractionnées en deux, et délivrées à deux enfants.
Les événements, c’est sûr, n’arrangent rien. « Je connais un hôpital où personne ne veut travailler car les routes ne sont pas sécurisées, reprend le Pr Zaki. Chacun vient armé jusqu’aux dents et veut passer son blessé d’abord. Après avoir connu le pire, il y a deux ans (la chute de Hosni Moubarak,ndlr), je dirais pourtant que cela va mieux dans nos hôpitaux. Bien sûr, quand on reçoit 100 blessés d’un coup, avec des coups de feu, de poignard, de matraque, de massue, c’est compliqué. Il faut être vigilant. Mais tout le monde s’accommode ».
Mohsan Agwa, administrateur en chef des hôpitaux universitaires d’Alexandrie, qualifie la situation de « stable ». À la minute où il parle, six patients sont en attente aux urgences. Depuis deux semaines, toutes les opérations programmées ont été annulées pour faire face au flot de blessés. Les médecins enchaînent les journées de 14 à 16 heures. Le salaire moyen à l’hôpital est de 350 euros, alors beaucoup cumulent plusieurs emplois. « Un de mes assistants en hématologie commence à 5 heures du matin et ne termine jamais avant 23 heures, relate le Dr Ghaly. Il court comme un fou. J’ai peur pour lui, mais il me dit que la vie au Caire est chère et qu’il n’a pas le choix ».
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