« Il n'y a pas d'objection éthique à allonger les délais d'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) jusqu'à 14 semaines de grossesse » (16 semaines d'aménorrhée) : telle est la réponse que rend ce 11 décembre le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) au ministre de la Santé Olivier Véran qui l'avait sollicité le 2 octobre. Le gouvernement attendait cet avis pour se prononcer sur ce sujet polémique, alors qu'une proposition de loi visant à étendre les délais de deux semaines a déjà été adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture le 8 octobre et devrait passer devant le Sénat le 20 janvier.
Dans cette « opinion » partagée par la majorité de ses membres à l'exception d'une voix, le CCNE prend le soin de cadrer la réflexion : il ne s'agit pas de se prononcer sur le principe de l'IVG (encore moins de remettre en cause le droit à son accès) ni sur le statut du fœtus.
Question de la bienfaisance à l'égard des femmes
Mais c'est à l'aune de la question de la bienfaisance et de la non-malfaisance à l'égard des femmes, que le CCNE a réfléchi à la pertinence d'une extension des délais.
Or actuellement, « un faisceau de facteurs peut contribuer à la difficulté d'avorter durant le délai légal autorisé, conduisant des femmes à ne pas pouvoir réaliser leur décision personnelle », déplore le CCNE. Parmi ces facteurs : la découverte tardive de la grossesse, l'insuffisance de l'information et de la prévention, les inégalités territoriales de prise en charge, un délai moyen de 7,4 jours entre la première demande des femmes et la réalisation de l'acte, ou encore le non-respect de la loi.
Une minorité de femmes est concernée : les IVG réalisées dans les deux dernières semaines du délai légal représentent 5,4 % de toutes les IVG, soit 12 000 sur les 232 244 pratiquées en 2019. Et concernent surtout les jeunes femmes de moins de 24 ans.
Il faut aussi tenir compte, pour mesurer le phénomène, de celles qui finissent par partir à l'étranger. Combien sont-elles ? La fourchette communément avancée va de 3000 à 5000 femmes, mais elles seraient en réalité 1 500 à 2000, explique le CCNE à partir des travaux et de l'audition de la chercheuse Silvia de Zordo. Celle-ci a calculé qu'en 2018, 31 femmes françaises seraient parties en Angleterre pour se faire avorter, 810 au Pays-Bas, et au moins 250 en Espagne. Selon son enquête, 5,2 semaines en moyenne se sont écoulées depuis leur première demande en France, le temps de trouver les financements et d'organiser leur départ… « Or toute prolongation est souffrance », souligne le Pr François Ansermet, pédopsychiatre, psychanalyste et corapporteur du texte.
« Un allongement du délai à 14 semaines permettrait le recours à l'IVG en France pour certaines de ces femmes », lit-on dans l'argumentation du CCNE. En outre, « un délai supplémentaire pourrait permettre » à celles qui découvrent leur grossesse tardivement « de prendre une décision argumentée, et parfois de faire le choix de garder la grossesse », lit-on encore.
Y a-t-il un risque médical à cet allongement, qui ferait pencher la balance vers une malfaisance à l'égard des femmes ? Le CCNE, prenant ainsi le contre-pied du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) et de l'Académie de médecine répond par la négative au regard de la littérature scientifique. « Plus le terme est avancé, plus le pourcentage de complications augmente, mais les complications graves sont très rares et il n'existe que peu, voire pas de différence entre 12 et 14 semaines de grossesse », lit-on. « Mais cela suppose bien sûr une formation des médecins et l'information complète des femmes sur la balance bénéfices -risques », souligne la Pr Alexandra Benachi, corapporteure et gynécologique obstétricienne. Interrogée sur l'embryon, elle a précisé qu'« outre la taille, il n'y a guère de différences sur cette période, notamment en termes de perception de la douleur, en l'état actuel des connaissances ».
Renforcer les lois actuelles pour éviter les effets pervers
Le CCNE met en garde : en aucun cas, un allongement des délais ne doit pallier les insuffisances de la France dans sa politique de prévention et de prise en charge des IVG (c'est d'ailleurs cette crainte qui conduit Dominique Quinio, ancienne directrice de « La Croix », à émettre une opinion divergente).
Le CCNE insiste donc pour une meilleure application de la loi dans un pays où l'IVG représente une grossesse sur quatre. « Notre préoccupation est de réduire le nombre d'IVG et surtout, les plus tardives, mais pas par jugement de valeurs mais au nom de la bienfaisance, car ces femmes sont en difficulté », déclare la Pr Benachi. Et d'insister sur l'importance d'améliorer les moyens des structures réalisant les IVG, l'accompagnement des femmes, et l'information et l'éducation à la sexualité de tous, hommes et femmes, dès le plus jeune âge. « Les conséquences psychiques d'une IVG dépendent des représentations sociales, politiques, individuelles, des droits des femmes. Plus on avance vers l'ouverture, moins les individus souffrent, ou sont stigmatisés. L'intime et le social sont liés », observe le Pr Ansermet.
Favorable au maintien de la clause spécifique
Le CCNE se prononce en revanche contre la suppression de la clause de conscience spécifique, également prévue par la proposition de loi en cours d'examen. Dans les faits, sa suppression changerait peu de choses car un médecin qui ne souhaite pas pratiquer une IVG peut invoquer la clause de conscience générale, reconnaît le Comité. Il note néanmoins que les deux clauses n'ont pas la même valeur juridique, la « réglementaire pouvant toujours être aménagée ou supprimée facilement hors de tout débat public », contrairement à celle sur l'IVG introduite par la loi Veil.
Au-delà de ce point juridique, l'enjeu est surtout idéologique. La députée EDS Albane Gaillot, auteure de la PPL, entend par sa suppression mettre fin au « statut à part » de l'IVG, et affirmer qu'« elle est un acte de santé comme un autre » afin de ne pas stigmatiser les femmes y ayant recours.
« La pratique d'une IVG ne peut être considérée comme un acte médical ordinaire », lit-on dans l'opinion du CCNE. « Nous sommes unanimes pour dire que ce n'est pas un acte comme un autre », répond la Pr Benachi. « C'est d'ailleurs pour ça, parce que ce n'est pas un geste ordinaire, qu'il est important de prendre en charge les femmes le plus tôt possible », conclut-elle.
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