Les protagonistes sont désormais mondialement connus : d'un côté, les Prs Jennifer Doudna de l'université de Berkeley et Emmanuelle Charpentier de l'institut Max Planck de biologie infectieuse, et de l'autre, Feng Zhang, du Broad institute du Massachusetts insitute of technology (MIT). Au cœur du conflit : la lutte pour les licences d'exploitation commerciale de la technologie CRISPR-Cas9 qui révolutionne l'édition du génome.
Tout commence en décembre 2012, quand les chercheurs du Broad institute déposent une demande de brevet en procédure, revendiquant la propriété intellectuelle sur l'utilisation de CRISPR-Cas9 dans des cellules eucaryotes. Accepté en avril 2014, ce brevet est attaqué un an plus tard par l’université de Berkeley, qui considère qu'il y a un chevauchement avec celui déposé précédemment (mais accepté plus tard) par Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier. Les revendications des deux chercheuses sont plus larges, puisqu'elles couvrent une utilisation du système CRISPR dans n'importe quel type de génome, eucaryote comme procaryote.
« Les termes des brevets déposés par Feng Zhang sont plus précis que ceux déposés par Doudna, explique au « Quotidien » un maître en droit spécialisé dans les questions de brevet appliquées à l'innovation scientifique (1). La question qui était posée était de savoir si les revendications de Doudna qui sont tellement larges englobent celles de Feng Zhang, ou si ces dernières sont bien des solutions techniques à un problème non couvert par le brevet de Doudna », décrypte-t-il.
Européens et Américains en ordre dispersé
À l’issue d'un procès administratif, la commission de première instance et d’appel a considéré que les procédés revendiqués par le Broad institute ne constituaient pas une suite logique et non innovante de celui revendiqué par Doudna et Charpentier. La décision a été confirmée en appel en décembre 2018.
En Europe, c'est un scénario très différent qui s'est produit puisque c'est le Broad institute qui a déposé une demande à l'encontre du brevet N° EP2800811 détenu par ERS Genomis Limited, entreprise fondée par le Pr Charpentier, l'université de Californie et l'université de Vienne. Le résultat a été surprenant : « C'est le brevet de Zhang qui a été révoqué, non pour une question d'inventivité ou d'antériorité, mais pour une erreur administrative, explique l'expert. Ils avaient fait une demande de priorité (ce qui revient à revendiquer rétrospectivement des droits sur une période antérieure à la date de dépôt du brevet N.D.L.R) qui a sauté car elle n'était pas conforme au droit européen. »
Complémentarité des recherches
Historiquement, Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna ont tiré les premières, en publiant dans « Science » (1), en juin 2012, un article décrivant l'utilisation de CRISPR-Cas9 pour éditer l'ADN in vitro. Quelques mois plus tard, en janvier 2013, l'équipe de Feng Zhang montrait dans le même journal que l'on pouvait se servir de CRISPR-Cas9 pour modifier le génome de cellules humaines (2) ou de souris. Établir l'antériorité scientifique de cette technologie est délicat, comme le souligne Mario Amendola, responsable du laboratoire Gene Editing (Généthon/INSERM) à l'université Paris-Saclay : « La mise au point de CRISPR-Cas9 est le fruit du travail d'une longue série de chercheurs, explique-t-il. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle seulement deux personnes sont récompensées par le prix Nobel. Je pense que l'Académie suédoise ne savait pas qui choisir en troisième ».
Les dates de publication n'ont d'ailleurs que peu d'impact dans le débat qui nous intéresse. En Europe comme aux États-Unis, la délivrance d'un brevet se fait sur la base du principe du « premier déposant ». Il est même déconseillé de publier ses résultats avant de déposer une demande de brevet. « On va dès lors considérer que la description de l'invention est connue du grand public et ne peut plus faire l'objet d'une protection », explique notre expert en droit.
Ce principe du « premier déposant » n'était pas encore en vigueur lors du dépôt du dossier par le Broad institute, c'est ce qui a permis à Doudna et Charpentier de faire une procédure de collision de brevets devant l'Office américain des brevets (USPTO), en faisant fi des dates respectives de dépôt de dossier.
*Le spécialiste contacté par le « Quotidien » n'a pas souhaité que son identité figure dans notre article
(1) M Jinek et al, Science, 2012, 6096, 816-821
(2) Le Cong et al, Science, 2013, 6121, 819-823
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