La recherche académique épargnée, les biotechs dans le doute

Par
Publié le 10/11/2020
Article réservé aux abonnés

La coexistence de ces brevets aux revendications parfois jointives n'est pas un problème pour la recherche académique. « Il y a un large consensus autour du fait que tout le monde peut mettre au point son propre CRISPR », analyse Mario Amendola, chercheur à l'université Paris-Saclay.

Pour les entreprises de biotechnologie, cette situation est inconfortable, « la guerre des brevets a un impact sur les entreprises qui visent une application commerciale », confirme le scientifique. Ces dernières sont dans l'incertitude quant à savoir si elles doivent obtenir une licence auprès des deux universités ou d'une seule. Une thérapie cellulaire basée sur l'édition du génome de cellules eucaryote risque-t-elle d'être accusée de contrefaçon si elle ne paye que la licence de l'université de Berkeley ? Faut-il aussi s'acquitter d'une licence spécifique auprès du Broad institute ?

La situation est d'autant moins simple que « chaque pays a sa propre appréciation de la portée du brevet et de la manière de constater une contrefaçon, explique l'expert en droit. Les exemptions de recherches dépendent des pays, bien qu'elles soient systématiques dans l'Union européenne. »

Pour les utilisations commerciales de CRISPR-Cas9, « tout dépend de la volonté des ayants droit à défendre leurs revendications, nous explique-t-on. Les investisseurs regardent deux choses : le droit et la liberté d'opérer. Il faut donc une analyse de l'ensemble des brevets. Or, il y en a pléthore qui sort sur CRISPR. »

Les choses se compliquent encore en effet car de nombreuses entreprises ont déposé des brevets pour protéger l'une ou l'autre utilisation de CRISPR-Cas9. En mai 2017 l'office européen des brevets a ainsi confirmé le brevet US 8,921,332 de l'entreprise Cellectis (en partie détenue par l'institut Pasteur) couvrant un procédé général d'insertion ciblée d’une séquence d’ADN d’un chromosome par une nucléase effectrice TAL, Mega-TALE ou CRISPR-Cas9. Ce brevet appartient à une famille de brevets couvrant l’utilisation des nucléases chimériques de restriction pour l'édition des génomes.

« Beaucoup de biotechs travaillent sur CRISPR-Cas9, mais les grands laboratoires, ceux qui investissent, préfèrent attendre », confirme pour sa part Mario Amendola. Les enjeux économiques dissuadent la moindre prise de risque. Pourtant, « CRISPR-Cas9 permet de faire à moindre coût des modifications bien plus précises que les autres technologies d'édition du génome, poursuit Mario Amendola. Dans la drépanocytose par exemple, un seul nucléotide est changé dans la version mutée. Les thérapies géniques actuelles obligent à changer tout le gène, quand CRISPR-Cas9 permet de ne changer que le nucléotide en question. CRISPR étant une protéine ARN non vivante, elle est simple à produire rapidement et en grande quantité, moins chère et plus sûre que les vecteurs viraux. »

D. C.

Source : Le Quotidien du médecin