AUCUN des principaux candidats n’aurait manqué, fin février/début mars, une visite rituelle au salon de l’agriculture. Rassurer le monde rural fait partie des passages obligés. Il est une autre profession qui bénéficie toujours d’un très fort pouvoir d’influence électorale, réel ou supposé : les quelque 215 000 médecins actifs (dont 123 000 praticiens libéraux ou mixtes).
Ces derniers savent depuis toujours bien occuper le terrain en période de campagne. Colloques thématiques, plateformes de revendications qui fleurissent à chaque printemps électoral, cahier de doléances, lettres ou « adresses » aux candidats quand ce ne sont pas des projets de loi « clés en main » ! Tous les grands syndicats se mobilisent pour faire avancer leurs idées, obtenir des engagements tarifaires (en février 2007 le candidat Sarkozy avait promis le C à 23 euros « au plus vite »...) ou simplement se rappeler au bon souvenir des candidats.
Ne pas braquer.
2012 n’échappe pas à la règle : ces dernières semaines, une avalanche de revendications corporatistes s’est abattue sur les candidats. Les libéraux de santé du CNPS, le SML, la CSMF puis MG France (et demain Le BLOC sur la question des dépassements), mais aussi plusieurs organisations de praticiens hospitaliers, ont posé leurs exigences, fixé des lignes jaunes, interrogé les prétendants à l’Élysée sur les sujets sensibles. La plupart des « politiques » se prêtent au jeu et caressent cet électorat dans le sens du poil, soit directement soit (plus souvent) par la voix utile de leurs experts santé. Les suffrages médicaux méritent attention.
Même si la campagne 2012, marquée par la dette, est beaucoup moins propice aux promesses clientélistes, il convient de rassurer le monde de la santé, en ville comme à l’hôpital. Et surtout de ne pas faire d’erreur rédhibitoire. François Hollande a dès son début de campagne sacrifié à la tradition de visites dans des établissements, montrant son empathie avec les soignants. Dans la Drôme, il a même proposé un nouveau « pacte » aux professions de santé, prenant le contre-pied des positions les plus autoritaires que lui suggérait une partie du PS sur la liberté d’installation ou le paiement à l’acte. « Cette "dédiabolisation" intensive du candidat socialiste est la preuve que les médecins libéraux comptent beaucoup », analyse un bon connaisseur du secteur de la santé.La semaine passée, Nicolas Sarkozy a fait un (très court) passage dans une maison de santé pluridisciplinaire du Doubs pour redire son intérêt pour ce mode d’exercice.
Caisse de résonance et capillarité.
Directeur général adjoint à l’IFOP, Frédéric Dabi confirme que les médecins « font partie des quelques rares professions dont l’influence électorale qualitative est très nettement supérieure à leur poids réel chez les électeurs ». « Ce n’est évidemment pas le médecin qui dicte le vote, à l’instar du curé d’autrefois, mais il y a une vraie dimension de relais d’opinion et surtout de caisse résonance des critiques », ajoute-t-il.
Les candidats le savent et l’histoire nourrit cette analyse (ou cette légende). En 1997, les voix médicales ont pesé lourd dans la défaite de la majorité aux législatives, racontent toujours d’innombrables élus de droite. Le vote sanction d’un monde médical outré par le plan Juppé aurait été relayé et amplifié au gré des centaines de milliers de « contacts » avec les patients (sans compter les affiches hostiles sur le rationnement des soins dans les salles d’attente).
Plus récemment, ce sont des sondages alarmistes sur le fossé creusé entre les médecins libéraux et la droite, publiés dans notre journal après la loi HPST et la désastreuse campagne de vaccination contre la grippe A H1N1, qui avaient conduit Nicolas Sarkozy à corriger le tir et à lancer une longue séquence de reconquête de la médecine de ville (abrogation des mesures vexatoires d’HPST, rapports sur la médecine de proximité, C = CS = 23 euros, nomination de Xavier Bertrand...). « J’ai entendu les critiques et les incompréhensions », expliquait le Président de la République dans nos colonnes en septembre 2011.
L’opération n’a fonctionné que partiellement. « Ce qui est inquiétant pour Nicolas Sarkozy c’est que auprès des médecins, des pharmaciens, des petits patrons et des agriculteurs, quatre professions très largement acquises en 2007, il est en recul même s’il est toujours en tête », explique Frédéric Dabi.
Mais cet expert le confirme : le vote des médecins, et plus largement des professionnels de santé est toujours « scruté » par les entourages et les conseillers des favoris qui redoutent leur influence électorale « par capillarité ».
Corps hétérogène.
Sociologue, chargée de recherche au CNRS au laboratoire « Droit et changement social » de Nantes, Anne-Chantal Hardy s’intéresse aux évolutions de la profession à ces comportements. Elle juge difficile de mettre le corps médical dans une « case » électorale, ou de lui prêter un pouvoir d’influence massif dans un sens déterminé. « On peut faire l’hypothèse que les médecins voteront un peu moins à droite qu’auparavant, suggère-t-elle. La nouvelle génération de médecins n’a pas forcément la même culture familiale que les précédentes où on comptait énormément d’enfants de professions indépendantes et libérales. Désormais, les enfants de cadres de la fonction publique et d’enseignants sont davantage représentés parmi les médecins, ce qui modifie la donne. » D’une manière générale, ajoute la sociologue, la population médicale est « plus hétérogène » qu’auparavant. Du coup, les arguments portés par les tenants de la médecine ultralibérale, très marquée à droite, sont « moins suivis » par la base des médecins, ce qui complique l’analyse de l’influence électorale de la profession.
Ces évolutions sociologiques n’empêchent pas les prétendants à l’Élysée d’être attentifs aux soubresauts de la profession et à ses attentes. « Évidemment que les candidats se méfient, assure Michel Chassang, président de la CSMF et du CNPS. Les professions libérales, et en particulier les médecins, sont de puissants relais d’opinion, c’est incontestable. Dans les cabinets, avec 30 patients par jour, ça discute... Consciemment ou inconsciemment, les médecins font campagne. Mais leur influence est sans doute plus importante encore au niveau des législatives ». L’élection des députés aura lieu les 10 et 17 juin 2012. D’ici là, les médecins seront encore très écoutés...
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