« L’ÉTAT EST MYOPE. Ce n’est pas la faute de ceux qui le servent mais du contexte dans lequel s’exerce la décision publique. Ce contexte est celui d’un univers incertain, et presque toujours celui de l’urgence. Nous sommes les lunettes de l’État : nous devons l’aider à voir toujours un peu plus loin. » Ainsi s’exprimait lors de ses vux, Vincent Chriqui, le tout nouveau directeur du Centre d’analyse stratégique (CAS), qui, sur proposition du Premier ministre, a remplacé René Sève le 13 janvier dernier. Le rapport qu’il remet aujourd’hui à la Secrétaire d’État chargée de la Prospective et du développement de l’économie numérique auprès du Premier ministre, Nathalie Koziusko-Morizet, s’inscrit dans le programme de réflexion initié par son prédécesseur en 2009 sur « Neurosciences et politiques publiques » et qui a donné lieu à une note de veille* et un séminaire** sur le thème spécifique de la prévention.
Et c’est la deuxième fois que la Secrétaire d’État, après avoir demandé un état des lieux sur la santé mentale des Français (« le Quotidien du 19 novembre 2009), sollicite l’expertise du Centre. Les messages de prévention qui ont jusqu’ici montré leurs limites, peuvent-ils être plus efficaces ? Dans un contexte de déficit toujours plus grand de la sécurité sociale, la prévention peut-elle permettre, à coût raisonnable, d’améliorer la santé des populations ? Deux notes de veille rendues publiques avant la remise du rapport donnent un éclairage inédit sur ses deux questions.
Messages et pubs.
La première s’intéresse à la lutte contre l’obésité. En effet, constate le CAS, « qu’il s’agisse d’obésité ou de tabagisme, les campagnes destinées au grand public ont souvent permis d’éveiller les consciences mais elles peinent à modifier les comportements à risque ». La note de veille rédigée par les coordonnateurs du rapport, Olivier Oullier et Sarah Sauneron, rappelle le bilan mitigé des campagnes qui, depuis une dizaine d’années, ont essentiellement mis en scène l’argument sanitaire. Des études fondées sur l’enregistrement de la trajectoire du regard d’un spectateur, montre qu’il ne se porte jamais sur le bandeau « manger/bouger », le message apposé sous les spots publicitaires pour les boissons ou produits alimentaires tel que le prévoit la loi de santé publique depuis 2004. Les bandeaux sanitaires, de par leur monotonie et leur sobriété, sont « inadaptés face aux effets d’habituation et de surstimulation sensorielle générés par les publicités (colorées, en mouvement et en musique, pour attirer l’attention et susciter l’envie) », souligne la note.
Une évaluation réalisée par l’INPES (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé) en 2007 montrait que ces messages avaient été bien accueillis (87 % des personnes interrogées) et bénéficiaient d’une bonne reconnaissance (82 à 98 % selon le slogan testé). Cependant, un risque de confusion existe entre le message sanitaire et le produit promu, comme l’a démontré l’UFC Que Choisir. Après la visualisation d’un spot télévisé pour des céréales, 68 % des adultes sondés pensaient que le fabricant vantait l’équilibre nutritionnel de son produit. Afin d’améliorer ces messages, le Centre propose d’en varier le contenu, la forme et la disposition mais aussi la présentation afin qu’il n’entre pas en concurrence cognitive avec le produit. Il devrait « apparaître seul à l’écran et être lu par des voix différentes ».
Toutefois, de telles améliorations ne sont pas suffisantes pour entraîner une modification du comportement des consommateurs. « Informer les acteurs ne suffit pas à les inciter aux choix les plus rationnels pour leur santé, contrairement aux croyances », explique la note. La tendance des individus à sous-estimer les risques à long terme et l’influence de l’environnement obésogène (attractivité des publicités, omniprésence des fast-foods...) sont à prendre en compte. L’expérience montre également que les campagnes touchent davantage les populations déjà sensibilisées au problème que les publics les plus concernés, ce qui accroît les inégalités de santé. Il convient certes d’éviter les messages trop culpabilisants, dogmatiques, stigmatisants ou anxiogènes, mais aussi les messages trop consensuels et sans implication personnelle, inaptes à susciter une quelconque motivation. L’appel aux émotions (peur, surprise, responsabilité, plaisir ou dégoût) semble favoriser la mémorisation et les changements comportementaux, à condition d’adapter aux publics visés.
Une réponse universelle.
Vaut-il toujours mieux prévenir que guérir ? Telle est la question iconoclaste que pose la deuxième note. Dans un contexte où la maîtrise de la croissance continue des dépenses de santé est un enjeu majeur, avec un déficit estimé à 11,5 milliards d’euros en 2009, « la prévention est souvent présentée comme une réponse à la fois universelle (elle serait efficace pour l’ensemble des individus) et peu coûteuse (elle permettrait même de faire des économies ». Ainsi la prévention serait moins chère et plus efficace que le soin. L’OMS estime par exemple que l’espérance de vie en bonne santé pourrait augmenter de 5 à 10 ans sans accroissement des dépenses, si les gouvernements et les individus unissaient leurs efforts pour lutter contre les principaux facteurs de risque dans chaque région.
La note signée par Sara-Lou Gerber va à l’encontre de cette vision univoque : la prévention nest pas forcément synonyme d’économies. Si elle améliore la santé et sauve des vies, elle a aussi un coût, et de plus, « concerne davantage d’individus que le soin, de sorte qu’il n’est pas automatique que son développement entraîne des économies au niveau financier ». La plupart des économistes de la santé demeurent circonspects quant à ses effets financiers. Ainsi, dans un article publié dans le « New England Journal of Medicine » en 2008, 599 actions ont été passées en revue, dont 279 ont été classées comme préventives. Seulement 20 % de ces dernières ont permis de faire des économies (ratio coût/efficacité). Parmi les stratégies économes figuraient la vaccination des nourrissons ou le dépistage du cancer colo-rectal chez les hommes de 60 et 64 ans. En revanche, le dépistage du diabète chez toutes les personnes âgées de 65 ans est une stratégie coûteuse. L’étude a également révélé que les ratios coût/efficacité différaient peu entre stratégies curatives et stratégies préventives.
La note explique qu’en réalité, si la prévention n’est pas « la panacée », elle pourrait permettre, à coût raisonnable, d’améliorer la santé des populations, « à condition de sélectionner les stratégies les plus efficientes, à savoir qui ciblent au plus près les groupes à risque ». Sara-Lou Gerber met, elle aussi, en garde contre la croyance fréquente selon laquelle « les individus agissent mal parce qu’ils ne sont pas informés ». Là encore, les neurosciences cognitives et les sciences sociales peuvent aider à mieux appréhender les logiques d’action ou d’information spécifiquement adaptées aux populations peu réactives aux messages existants.
* Note de veille n° 138 (juin 2009), « Stratégies d’information et de prévention en santé publique : quel apport des neurosciences ? ».
** Séminaire « Neurosciences et Prévention en santé publique », 16 juin 2009, actes disponibles sur le site www.strategie.gouv.fr.
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