Grippe A(H1N1)-Face aux critiques sur sa gestion de la crise

L’OMS fourbit ses armes

Publié le 18/03/2010
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« L’OMS RESTE droite dans ses bottes, mais, soumise à l’inquisition des médias, elle est prête à assouplir ses protocoles », estime la sénatrice Marie-Christine Blandin (verts), rapporteur de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques), après avoir auditionné, à Genève, les responsables du suivi de la pandémie à l’Organisation, les Drs Keiji Fukuda, conseiller spécial de la directrice générale, Philippe Duclos, directeur du SAGE (Strategic Advisory Group of Experts), et Sylvie Brillant, responsable du comité d’urgence grippe A(H1N1).

« Principalement critiquée en Europe, alors que les autres continents n’ont pas émis de contestation, ajoute le Dr Jean-Pierre Door, député (UMP), l’autre rapporteur de l’OPECST sur le sujet, qui a aussi fait le voyage en Suisse, l’OMS a heureusement assumé son rôle de sentinelle mondiale, face à un nouveau virus qui se propageait à grande vitesse sur tous les continents. Aujourd’hui, ses responsables sont ouverts à un retour d’expérience et ils nous annoncé la commande d’un audit externe sur la gestion de la crise, dont les conclusions seront rendues publiques en mai. L’OMS reconnaît par là-même que le plan Pandémie avait été mis au point pour faire face à la pandémie aviaire, H5N1, alors que la virulence du A(H1N1)v n’était pas connue. Sa stratégie pourra être revue et adaptée en vue d’autres situations épidémiques. »

L’audit devrait se pencher sur la graduation des stades pandémiques, de 1 à 6, ainsi que sur les recommandations édictées par l’OMS selon chacun de ces niveaux. En revanche, il ne statuera pas sur la question de l’indépendance des experts, un sujet qui fait actuellement l’objet de diverses enquêtes en France (commissions d’enquête du Sénat, de l’Assemblée Nationale et de l’OPECST) ainsi que, éventuellement, au Parlement de Strasbourg, si la proposition déposée par plusieurs députés européens est retenue. Les deux rapporteurs français ont pris note de l’existence de « garde-fous majeurs » mis en place par l’OMS pour veiller à l’indépendance de ses experts : « Au sein du comité SAGE comme du comité d’urgence, rappelle le Dr Door, de nombreuses protections sont en place pour gérer d’éventuels conflits d’intérêt, ou la perception qu’on en a. Chaque expert doit fournir une déclaration d’intérêts quant à ses collaborations éventuelles avec l’industrie. Pour le comité SAGE, ces informations font l’objet d’une totale transparence, étant mis en ligne sur le site de l’OMS, avec une mise à jour en temps réel. Pour le comité d’urgence, l’identité des experts n’est pas en revanche dévoilée, ni leurs liens éventuels avec les laboratoires, de manière, nous a-t-on expliqué, à prémunir les intéressés contre d’éventuelles pressions. Mais Mme Duclos nous a donné l’engagement que toutes les informations les concernant seront transmises aux experts chargés d’effectuer l’audit. »

Sans vérification ni contrôle.

« Même consultables et publiques, objecte toutefois Mme Blandin, ces données sont simplement déclaratives et elles ne sont actualisées que par les intéressés eux-mêmes, sans vérification ni contrôle de la part de la direction de l’OMS. Des écarts et omissions ne sont donc pas exclus de la part de certains experts. »

C’est ainsi qu’a été évoqué le cas du Finlandais Juhani Eskola, membre du comité du Sage, qui aurait négligé de déclarer ses collaborations privées. « Il a été convoqué par Philippe Duclos, pour fournir des explications, précise le Dr Door et il s’est avéré qu’il avait collaboré avec un laboratoire qui ne produit aucun vaccin grippal. L’affaire est donc close ».

Au-delà de cas particuliers qui pourraient encore faire l’objet de vérifications, Marie-Christine Blandin, tout en se défendant d’engager un procès d’intention, reste « quand même préoccupée par l’absence de distance entre l’intérêt général de la santé publique internationale et les intérêts des firmes multinationales. Nous ne disposons pas, déplore-t-elle , d’un financement public en mesure de garantir le premier, alors qu’en l’absence d’une étanchéité minimale entre public et privé, la gestion de la pandémie a été démesurée par rapport aux événements épidémiologiques, dans une ambiance surchauffée par l’industrie. De ce point de vue, le lancement d’un audit représente un premier stade d’autocritique de la part des dirigeants de l’OMS. »

Des dirigeants qui soulignent, en tous les cas, qu’ils ne sauraient être tenus pour responsables des plans pandémiques et vaccinaux adoptés par 199 États dans le monde. Tout en rappelant qu’ils ont fourni gratuitement les deux souches virales destinées à l’élaboration des vaccins, les responsables de l’OMS soulignent qu’ils ont « toujours évalué comme modérés les effets de la pandémie. L’OMS a régulièrement rappelé au milieu médical, au grand public et aux médias que, dans leur immense majorité, les patients manifestent un syndrome grippal bénin qui guérit complètement en une semaine, même en l’absence de tout traitement ». Et elle a « toujours déconseillé d’instaurer des restrictions aux voyages et aux échanges commerciaux ».

 CHRISTIAN DELAHAYE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8732