La population d’Europe de l’Ouest vieillit et les traditions de soins intergénérationnels sont remises en question par les obligations professionnelles des femmes, piliers de la solidarité familiale. Pour prendre en charge les plus âgés, un nombre croissant de soignants – y compris de médecins - est désormais nécessaire. Or, la plupart des pays de l’Ouest de l’Europe ont adopté dans les années 1990 des politiques restrictives d’accès aux formations de soignants. Comment combler les postes vacants quand il n’y a pas de professionnels sur le marché du travail ? En faisant appel à des étrangers ayant la possibilité de travailler dans le pays. L’OMS estime que le nombre de soignants étrangers a augmenté de 60 % dans les pays de l’OCDE au cours de la dernière décennie et que ce chiffre sera largement dépassé au cours de la prochaine décennie.
La Pologne est ainsi devenue l’une des nations qui contribue le plus en Europe aux migrations de médecins et d’infirmières, dont certains sont de nationalité non-polonaise et ont juste fait leurs études sur place et la plupart du temps en anglais. Leur diplôme est en effet reconnu partout et, pour les nationaux, leur souhait de quitter leur pays est réel.
À l’occasion du congrès Européen de Santé publique (EUPHA 2019), les Drs A. Domagala et K. Dubas-Jakonczyk (Varsovie) ont présenté les résultats d’une étude chez plus de 1 000 médecins travaillant en Pologne dans les hôpitaux de grande, moyenne ou petite taille. L'objectif était de sonder leur position vis-à-vis d’un éventuel départ à l’étranger. Sur les 1 003 médecins interrogés, 273 (27 %) imaginent quitter leur pays et travailler ailleurs en Europe un jour, dont 4,5 % très certainement et 22,7 % probablement. Les femmes étaient moins nombreuses à tabler sur un tel départ (19,9 %), tout comme les médecins n’ayant jamais eu d’enfants (33 %). 62 % des praticiens qui pensent quitter le pays le feraient pour quelques années seulement. Et le principal écueil qu’ils citent à leur éventuel départ reste la pression familiale (70 %).
Pourquoi souhaitent-ils quitter la Pologne ? Parce qu’ils considèrent que leurs conditions de travail et de vie ne sont pas bonnes dans leur pays : paye insuffisante, équipements insuffisants, durée du travail hebdomadaire trop prolongée ne permettant pas un épanouissement dans leur vie privée, impossibilité de formations… Cette population de médecins bien formés, dont la plupart parlent allemand et anglais, et qui n'est pas heureux dans son exercice quotidien constitue une manne de main-d’œuvre pour des pays tels que l’Allemagne (où 10,3 % des médecins sont d’origine étrangère), pour la Grande-Bretagne (26,1 %) ou pour l’Autriche (14,5 %).
Mais leur expatriation est-elle aussi idyllique que les médecins l’imaginaient ? Toujours à l’occasion du congrès européen de santé publique (EUPHAR 2019), Le Dr M. Falkenbach (Chicago, États-Unis) a analysé l’exemple de l’accueil des soignants en Autriche, pays qui a porté les conservateurs au pouvoir (le gouvernement Kurz) entre décembre 2017 et mai 2019. En Autriche, en 2017, 460 000 personnes âgées étaient en demande de soins quotidiens (nombre qui devrait doubler avant 2050) et 20 000 étrangers en situation irrégulière étaient employés dans des structures de soins.
L’une des premières décisions du gouvernement Kurz a été de promouvoir une loi de préférence nationale des emplois dans le soin. Les médecins polonais ont été les premiers à être impactés par ces lois. Des tests de langue ont été exigés (avec une paye inférieure de 200 euros en cas de note insuffisante), le regroupement familial a été découragé pour ceux qui étaient venus en « éclaireur » avant d’amener toute leur famille en Autriche, les allocations familiales ont été abaissées dans les familles de plus de trois enfants (ce qui était souvent le cas avec les soignants polonais dont le conjoint ne travaillait pas)… Des mesures similaires ont été prises en Italie par le gouvernement conservateur.
Résultat : le nombre de médecins polonais a baissé en Autriche. En 2018, ce pays ne fait plus partie des destinations de migration des médecins diplômés en Pologne : 284 nouveaux praticiens sont partis travailler en Allemagne, 47 en Suède, 33 en Grande-Bretagne, 27 en Slovénie et 20 en République Tchèque. Seront-ils plus heureux qu’en Pologne ou en Autriche ? La réponse dans les 10 ans à venir.
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