Les dommages collatéraux de la loi médicament

Imbroglio réglementaire et administratif autour de la réforme Bertrand

Publié le 23/01/2012
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Crédit photo : S Toubon

LA LOI SUR LE RENFORCEMENT de la sécurité sanitaire du médicament, voulue par Xavier Bertrand à la suite du scandale du Mediator, a été adoptée par la représentation nationale le 19 décembre dernier. Publiée au « Journal officiel » 10 jours plus tard, cette réforme a pour ambition de remédier à l’ensemble des dysfonctionnements dans la chaîne du médicament mis au jour par le rapport de l’IGAS sur le Mediator.

Las, si la célérité du ministre de la Santé à concevoir et faire adopter cette loi est louable, force est de constater que ce texte qui chamboule l’ensemble du circuit du médicament (autorisation de mise sur le marché, choix des experts en fonction de leurs liens d’intérêt, visite médicale, financement de l’Agence du médicament, contrôle de la publicité, etc.) reste vague sur la période de transition qui court de l’adoption de la loi à la publication des décrets indispensables à son déploiement.

Des médiocres, des iconoclastes.

Sur la procédure d’obtention d’AMM, le texte prévoit des règles très strictes en matière de gestion des liens d’intérêts. Le Pr Jean-François Bergmann, vice-président de l’actuelle commission d’AMM, parle d’« ambiance de fin de règne à la commission d’AMM ». Il assure que si le curseur est placé très (trop) haut par les décrets, cette commission va se retrouver, en terme d’expertise, avec « des médiocres, des retraités, des militants ou des iconoclastes ». Selon lui, l’AFSSAPS a déjà du mal à recruter des évaluateurs internes exempts de liens d’intérêts. Entre la volonté politique affichée et la réalité du terrain, il y a sans doute un décalage.

En matière de publicité pour les médicaments remboursables, c’est le grand flou qui domine. La règle antérieure confiait à l’AFSSAPS (que la loi remplace par la nouvelle agence nationale de sécurité du médicament) la responsabilité d’exercer un contrôle a posteriori sur les publicités destinées aux professionnels de santé et diffusées dans la presse professionnelle. Selon Christian Lajoux, président du LEEM (Les Entreprises du Médicament), seule une dizaine de ces publicités étaient retoquées annuellement, et moins de 20 % faisaient l’objet d’une demande de rectification par l’AFSSAPS. La nouvelle loi bouleverse la donne en confiant à l’Agence une mission de contrôle a priori, sous forme d’autorisation préalable. Les industriels, avant de diffuser tout message, doivent obtenir un « visa de publicité » de l’Agence. Mais là encore, difficile de s’y retrouver. La loi ne mentionne officiellement aucun décret d’application relatif à cette disposition qui devient du coup d’application immédiate...mais sans moyens ni feuille de route. Un décret doit préciser « les délais et les modalités d’autorisation » de la publicité, stipule un document de la Direction générale de la Santé (DGS), daté du 19 janvier, dont « le Quotidien » a eu connaissance. Pendant ce temps, des dossiers s’accumulent...

Perte de chance.

Chez les industriels du médicament, l’ambiance n’est pas rose. « Nous aurions souhaité des mesures transitoires, comme cela se fait souvent pour une nouvelle loi », déplore Christian Lajoux qui assure que près de 150 dossiers de demande de visa publicitaire encombrent déjà les bureaux de l’AFSSAPS.

Une chiffre voisin de celui cité par Dominique Maraninchi lui-même, patron de l’Agence, qui reconnaît que « plus de 100 dossiers ont déjà été déposés par les industriels » depuis la promulgation de la loi.

Autant de dossiers bloqués, qui empêchent les industriels de communiquer sur de nouveaux médicaments, mais aussi sur une modification des caractéristiques du produit ou sur une extension d’AMM. « C’est une perte de chance pour les patients, confie un industriel, car sans la publicité, ces médicaments seront peu prescrits ».

La valse-hésitation permanente du ministère de la Santé sur ce dossier sensible est source de difficultés pour les acteurs concernés. Le ministère a d’abord affirmé, en début de semaine dernière, qu’en matière de visa publicitaire, la loi s’appliquait immédiatement (contrôle a priori, donc), le texte ne prévoyant aucun décret d’application. Mercredi, devant l’émoi soulevé, le gouvernement adopte une position inverse, assurant que jusqu’à la parution de prochains décrets, c’est le régime ancien qui s’applique, à savoir le contrôle a posteriori des publicités des médicaments. Mais vendredi matin, nouveau rebondissement. Un courrier de Jean-Yves Grall, directeur général de la Santé, écarte cette hypothèse : « Dans l’attente du décret d’application (..) c’est le régime de droit commun qui s’applique : le refus implicite [des dossiers] en l’absence d’une réponse de l’Agence à l’issue du délai de deux mois à compter du dépôt des demandes ». Pour le Dr Michel Chassang, membre du conseil d’administration du Syndicat national de la presse médicale et des professions de santé (SNPM), « la décision des pouvoirs publics est stupéfiante car outre une perte de chance pour les patients, elle prive de recettes publicitaires toute la presse médicale. Kafka est de retour ».

À l’AFSSAPS, le Pr Maraninchi semble irrité par la tournure du dossier. « Tant qu’il n’y a pas les décrets sur la gouvernance de la nouvelle agence, il n’y a pas de nouvelle agence, indique-t-il, manifestant sa volonté de ne pas prendre position sur la question du contrôle de la publicité. Le gouvernement s’applique à ce que les décrets d’application prévus pour le fonctionnement de l’agence et la sécurité sanitaire soient promulgués d’ici le mois de mars ».

 HENRI DE SAINT ROMAN

Source : Le Quotidien du Médecin: 9070