Avant même le début de l'été, le feu a pris aux urgences. Au dernier décompte, on recensait près de 80 services en grève dans toute la France (12 % du total), certains depuis trois mois. Le malaise est si profond que deux journées nationales de mobilisation sont prévues coup sur coup, aujourd'hui et le mardi 11 juin (dans le cadre d'un mouvement de grève plus large dans les hôpitaux). Les personnels, à bout de souffle, vilipendent le manque chronique de moyens humains et financiers et l'insécurité.
Dans certains services, la situation est inédite. La semaine dernière, à Lons-le-Saunier (Jura), la pénurie a contraint la préfecture et l'agence régionale de santé (ARS) Bourgogne Franche-Comté à réquisitionner des personnels en pleine nuit pour garantir la continuité des soins. Lundi dernier, c'est l'hôpital Lariboisière (AP-HP) qui a fait parler de lui avec une action hautement symbolique : en signe de protestation, l'équipe de nuit des urgences s'est mise... en arrêt maladie, contraignant le personnel de jour à travailler 18 heures d'affilée. Agnès Buzyn a peu apprécié cette initiative. À Saint-Antoine (AP-HP), d'où est partie la grève, l'aide-soignante Candice Lafarge décrit une situation dramatique : « Le burn-out fait partie de la vie quotidienne d'un soignant ».
Les médecins divisés
Depuis la première étincelle, le 18 mars, le mouvement n'a cessé de s'étendre, d'abord en Île-de-France puis dans le reste du pays. Samedi 25 mai, la première assemblée générale du collectif inter-urgences, organisée à Paris, a réuni plus de 200 agents, venus d'une trentaine de services mobilisés. Une motion nationale a été adoptée. Elle réclame l'arrêt des fermetures de lits, de services et de lignes de SMUR, l'augmentation de tous les salaires de 300 euros net par mois et la hausse des effectifs, d'abord pour atteindre le référentiel fixé par SAMU-Urgences de France (SUDF), puis proportionnellement à l'activité des services.
Ce jour-là, le collectif, jusque-là informel, s'est constitué en association pour peser davantage. « Une manière d'apparaître comme des interlocuteurs légitimes auprès des autorités », argumente Hugo Huon, infirmier à Lariboisière et probable futur président de ce mouvement. Aujourd'hui même, quelque 400 manifestants (principalement des paramédicaux mais aussi des praticiens) sont attendus avenue de Ségur pendant qu'une poignée d'entre eux devrait être reçue par la ministre de la Santé.
Pourtant, le corps médical cherche sa place dans ce mouvement de colère. Si l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF) appelle ses adhérents à défiler massivement aux côtés des autres soignants, SUDF reste plus réservé sur la méthode. Le syndicat du Dr François Braun partage pourtant le sombre diagnostic des manifestants (lire page 3). En avril, dans une enquête publiée avec le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi (SNPHARe), il dénonçait la « situation explosive » aux urgences. Dans une lettre ouverte adressée à Agnès Buzyn, le Dr Braun décrit « un point de rupture jamais atteint ». Mais au second jour de son congrès annuel − auquel la ministre prend traditionnellement la parole −, l'urgentiste messin pourrait montrer un visage plus ouvert à la négociation.
L'été de tous les dangers
Le 28 mai, lors d'une visite sur le chantier du nouvel hôpital d'Ajaccio, Agnès Buzyn a évoqué plusieurs pistes « à explorer pour améliorer la situation des urgences » tout en reconnaissant qu'il n'existait « pas de solution miracle ».
Pour éviter la saturation, la ministre de la Santé envisage de créer des maisons médicales de garde « adossées aux services d'urgences » ou d'organiser « des entrées directes dans les hôpitaux pour les patients chroniques connus ». Agnès Buzyn pourrait également profiter de la réforme prochaine des autorisations d'activités de soins et de la nouvelle gradation des services d'urgences pour apporter des solutions à l'engorgement.
Depuis le début de la mobilisation, la locataire de Ségur ne s'est pas prononcée sur les revendications des grévistes. Dans son entourage, on précise que « c'est à l'échelle de chaque établissement que les négociations doivent avoir lieu ». En revanche, la ministre devrait engager dans les prochains jours « une réflexion d'ensemble sur le nouveau visage à donner aux urgences ». Sur le numéro unique toutefois, « la décision n'est pas encore tranchée », entend-on à Ségur.
Si elle se refuse à jouer au pompier d'un jour, Agnès Buzyn devra anticiper les pénuries estivales avec la plus grande précaution. Elle recevra bientôt – comme chaque année – les organisations d'urgentistes pour préparer ce qui s'annonce comme un été brûlant pour le secteur.