Les médecins généralistes français qui reçoivent des « cadeaux » des laboratoires pharmaceutiques seraient associés à « des prescriptions plus chères et de moindre qualité », affirme une équipe d'enseignants-chercheurs, médecins et ingénieurs de l'université de Rennes-1 dans une étude publiée dans le « BMJ ».
L'équipe a croisé les données de la base Transparence Santé (sur laquelle doivent être déclarés les liens d'intérêt des professionnels de santé – comme les équipements, repas, frais de transport ou d'hôtel offerts par des entreprises, à partir d'un montant de 10 euros) et une partie des données de l'Assurance-maladie (prescriptions remboursées ou actes médicaux…), issues du système national des données de santé (SNDS).
Les travaux ont consisté à vérifier s'il existait un lien entre les avantages offerts aux généralistes (restauration, hôtel, services, équipement, etc.) par l'industrie pharmaceutique et le coût de leurs prescriptions ainsi que leur pertinence au regard des objectifs fixés par la CNAM. Ainsi, les auteurs ont passé au crible les prescriptions d'un peu plus de 41 257 généralistes travaillant exclusivement en libéral, classés en six groupes en fonction du montant des avantages perçus au cours de l'année 2016. « Près de 90% des médecins généralistes ont déjà reçu au moins un cadeau depuis 2013 », précise Pierre Frouard, généraliste à Rennes et coordonnateur de l'étude.
Pas de lien de causalité...
L'équipe conclut que l'étude ne peut pas montrer de lien de cause à effet mais permet d'affirmer « qu'en moyenne le groupe de médecins n'ayant reçu aucun avantage (...) est associé à des prescriptions moins coûteuses, plus de prescriptions de médicaments génériques par rapport aux mêmes médicaments non génériques (antibiotiques, antihypertenseurs, statines), moins de prescriptions de vasodilatateurs et de benzodiazépine pour des durées longues et moins de sartans, comparativement aux inhibiteurs de l'enzyme de conversion ». En revanche, il n'existe pas de différence significative pour la prescription d'aspirine, de génériques d'antidépresseurs ou de génériques d'inhibiteurs de la pompe à protons.
Autre constat : plus le montant total des avantages perçus est élevé, plus le surcoût moyen par prescription augmente, tout comme le déficit de prescription des versions génériques pour les antibiotiques, les antihypertenseurs et les statines. Ainsi un généraliste ayant perçu un avantage égal ou supérieur à 1 000 euros en 2016, aurait un surcoût moyen par prescription de 5 euros contre 2 euros pour un praticien ayant perçu entre 10 et 69 euros...
Pour les auteurs, ces résultats « renforcent l'hypothèse selon laquelle l'industrie pharmaceutique peut influencer les prescriptions des médecins généralistes ». « Cette influence, parfois inconsciente chez les médecins, peut conduire à choisir un traitement qui n'est pas optimal, au détriment de la santé du patient et du coût pour la collectivité », ajoutent-ils.
Les syndicats médicaux perplexes
Contacté par « le Quotidien », le Dr Jacques Battistoni, président de MG France, n'est pas surpris des résultats. « Ça permet de quantifier quelque chose qu'on suppose depuis longtemps », commente-t-il. Toutefois, l'effet du marketing pharmaceutique serait en repli. « J'ai l'impression que l'influence est en perte de vitesse. Les confrères reçoivent moins de visiteurs médicaux, il y a moins de pression autour de la prescription », ajoute-t-il.
Également joint ce mercredi, le Dr Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France (FMF), est beaucoup plus sévère. « Les généralistes sont les seuls ciblés, quel est l'intérêt de défaire leur réputation ? Quels critères permettent d'affirmer qu'un généraliste prescrit mal ? Il faudrait réaliser une étude avec l'ensemble des médecins tous modes d'exercice confondus », s'énerve-t-il.
14h30 sur CNews tout le bien que je pense sur cette étude à la con sur les Mg qui vendus à l’industrie prescriraient mal et plus cher halte au docbashing
— Jean Paul Hamon (@hamonjeanpaul) November 6, 2019
L'industrie dénonce un « dénigrement »
Les entreprises du médicament (LEEM) émettent ce mercredi « les plus vives réserves » sur les conclusions tirées de cette étude. Le syndicat patronal fait valoir que la base transparence.sante agrège des données « composites », regroupant sous le terme générique « d’avantages » des invitations à des événements scientifiques ou de formation, des frais d’hébergement, de déplacement ou de restauration, ce qui rend l’exploitation de ces données et leur analyse « particulièrement complexes ».
« Un généraliste invité à un congrès orthopédique par une entreprise de dispositif médical et qui n’atteint pas les objectifs de prescription de génériques de l’assurance-maladie, va, selon la méthodologie de l’étude, être considéré exposé à l’influence des laboratoires pharmaceutiques », relève Le LEEM. Rappelant que le nombre de visiteurs médicaux a été divisé par deux en dix ans, il pointe enfin la « confusion entre la notion de "cadeaux" qui sont interdits par la loi depuis 1993 et celle d’avantages qui sont autorisés, mais strictement encadrés par cette même loi et largement soumis à l’avis des Ordres professionnels ». Et de dénoncer un « dénigrement » de l'industrie du médicament.
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