Entendus par la gendarmerie, mis en cause : les médecins dans la ligne de mire

Publié le 14/05/2012
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POUR CERTAINS avocats, il n’est pas question de poursuivre les médecins prescripteurs dans le cadre de l’affaire Mediator. « J’ai besoin d’eux pour collecter les informations », observe Me Jean-Michel Charre. D’autres, a contrario, ont les prescripteurs dans le viseur.

L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) a reçu 6 600 dossiers. Une fois sur dix, la victime met en cause son médecin ou son pharmacien. L’ONIAM prévient les professionnels concernés par courrier. « C’est au collège d’experts de statuer sur la responsabilité du laboratoire et du professionnel », rappelle Érik Rance, directeur de l’ONIAM. Les premiers avis définitifs seront rendus fin juin. Ensuite, le laboratoire - et les éventuels médecins reconnus responsables - disposeront de trois mois pour faire une offre d’indemnisation aux victimes.

Médecins, Servier, même combat : c’est en tout cas le credo de Me Christine Ravaz, à Toulon. L’avocate a mis en cause une cinquantaine de praticiens. Elle a demandé aux juges d’instruction parisiens d’auditionner certains d’entre eux « particulièrement retors ». Les juges n’ont pas voulu faire doublon avec l’OCLAESP (office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique), qui se rend de cabinet en cabinet, et demande aux médecins pourquoi ils ont prescrit le Mediator hors AMM. Plusieurs centaines de prescripteurs ont d’ores et déjà été entendus.

L’avocate toulonnaise, en quête d’une sanction « symbolique », a saisi l’Ordre des médecins pour deux dossiers « emblématiques ». À Marseille, cinq médecins sont traduits devant l’Ordre régional de PACA. Il leur est reproché plusieurs manquements déontologiques dans le suivi de Marie-Laure Bach. Âgée de 46 ans, la patiente raconte son histoire : « J’ai voulu perdre du poids après trois grossesses. J’ai demandé de l’aide à mon généraliste, qui m’a prescrit du Mediator de 2006 à 2009. J’ai perdu 15 kg. Début 2010, j’ai reçu le courrier de l’AFSSAPS qui me recommandait de voir un cardiologue. Là j’ai découvert une valvulopathie mitrale et aortique. En 2004, à la précédente échographie, il n’y avait rien. J’en veux surtout à mon généraliste, qui ne m’a pas appelée après l’interdiction du médicament, et qui a refusé de me transmettre mon dossier. En fait il n’avait pas de dossier, alors que j’ai de l’hypertension et que j’ai été opérée de deux cancers. Par chance j’ai retrouvé une ordonnance. Depuis, j’ai changé de médecin traitant ».

Marie-Laure Bach, femme de ménage, est en arrêt maladie. Elle attend un reclassement professionnel, et une indemnisation rapide pour s’offrir un appareil dentaire. « Je dois me faire arracher toutes les dents à cause de mon problème cardiaque. Les soins coûtent 6 000 euros ». La transmission du dossier est une obligation depuis la loi Kouchner, rappelle Me Ravaz, qui considère que les cinq médecins qui suivaient Marie-Laure Bach l’ont mise en danger en retardant une prise en charge adaptée.

Prescription et données de la science.

Me Ravaz a également assigné le Dr Pierre Dukan devant le Conseil de l’ordre parisien pour une de ses patientes. « En prescrivant le Mediator hors AMM, hors toute étude scientifique, hors tout examen cardio-vasculaire, il a trompé la confiance de sa patiente et l’a mise en danger », affirme Me Ravaz.

Le Dr Irène Kahn-Bensaude préside le Conseil de l’ordre de Paris. « Si la conciliation échoue, dit-elle, la chambre disciplinaire de première instance jugera si la prescription de Mediator a été faite selon les données acquises de la science. C’est une première : la décision pourrait faire jurisprudence ». Le Dr Dukan pourra faire appel en cas de sanction - du blâme à la radiation. Certains médecins abusent-ils des prescriptions hors AMM ? « Possible, répond le Dr Kahn-Bensaude. Pour l’instant, le médecin peut prescrire ce qu’il veut. C’est à l’ANSM (la nouvelle agence du médicament) de jouer, et d’encadrer le hors AMM ». Le Dr Claude Leicher, président du syndicat MG-France, espère que l’Ordre rappellera à tous l’importance de la déontologie : « Le Dr Dukan et d’autres continuent de faire la promotion de méthodes d’amaigrissement contestables. L’intérêt du patient doit toujours être privilégié, même si cela va à l’encontre de sa demande ».

D. CH.

Source : Le Quotidien du Médecin: 9125