Tout patient peut-il être endormi ? Si dans cette question on entend la réalisation technique d’une anesthésie, la réponse pourrait être en première analyse affirmative. En effet, la meilleure compréhension des effets de l’anesthésie générale ou locorégionale, les progrès dans la surveillance du patient et la réhabilitation précoce en postopératoire ont réduit le risque périopératoire, mais aussi sa perception par les équipes médicales. De ce fait, l’analyse de la balance du bénéfice et du risque, fondement de toute décision médicale, conduit à repousser chaque jour un peu plus les limites des interventions, quels que soient l’âge du patient, ses comorbidités ou l’acte chirurgical envisagé. Cependant, la réponse à cette question est en fait plus complexe que cette simple analyse, technico-centrée, ne le suggère.
Les notions de bénéfice et de risque ont évolué
La notion de bénéfice a évolué. Elle est assez simple lorsqu’il s’agit de la guérison d’une maladie, de l’amélioration de la survie, de la capacité fonctionnelle ou de la douleur. Mais elle peut être moins évidente lorsqu’il s’agit d’un gain esthétique, de la réduction d’un risque à venir (dépistage, chirurgie préventive liée à un risque génétique) ou lorsque des séquelles sont possibles.
La notion de risque a quant à elle longtemps été centrée sur la mortalité ou les complications périopératoires immédiates. Plus récemment, d’autres risques sont apparus, moins bien caractérisés, relatifs à des événements dont les conséquences ne sont pas immédiates mais qui altèrent le devenir du patient : dysfonctions cognitives, dommages myocardiques asymptomatiques ou altération de la fonction rénale, par exemple. Il faut aussi considérer le simple risque d’inconfort, indissociable de tout acte chirurgical.
Le consentement éclairé du patient n'est pas toujours possible
L’information du patient et l’obtention de son consentement avant la réalisation des actes d’anesthésie et de chirurgie, inscrites dans la loi, sont désormais bien acceptées par les équipes. Cependant, des interventions sous anesthésie peuvent être envisagées sur des patients dont les capacités de compréhension sont perturbées, du fait d’une altération des fonctions cognitives. Certains patients, sédatés en réanimation ou comateux, ne peuvent recevoir l’information. On est donc exposé au risque d’une procédure dont ils ne voudraient pas, ou qui ne correspondrait pas à leur projet de vie. Dans certaines situations particulières, cela peut entrer dans le cadre de l’« obstination déraisonnable » (l’acharnement thérapeutique). La personne de confiance témoin de la volonté du patient et les directives anticipées sont des progrès, mais qui ne répondent pas à toutes les situations. Le contexte de l’urgence rend plus complexe encore la prise de décision, du fait de la multiplication des incertitudes, de la pluralité des acteurs et de l’absence de délai de réflexion.
Le sens de l’acte ne doit pas être oublié
Ces évolutions majeures font qu’il est nécessaire d’intégrer dans de nombreux cas une dimension éthique, abordant le sens que l’on donne à l’acte, sens qui doit être adapté à la singularité de chaque patient. Cette dimension éthique prend toute son importance lorsqu’il existe un conflit de valeurs, ou que l’expérience et l’evidence-based medicine ne permettent pas de répondre à la question posée.
Pour faire face à cette incertitude, le raisonnement éthique doit être structuré autour des principes de bienfaisance (proposer au patient ce qui lui est le mieux adapté, en intégrant la notion de qualité de vie), d’autonomie (respecter sa capacité à décider par et pour lui-même, après une information claire et adaptée), de non-malfaisance et de justice, individuelle et collective. Le raisonnement éthique ne se satisfait pas d’une prise de décision instantanée, à l’emporte-pièce, par un médecin isolé qui imposerait son choix. Il est fondé sur la discussion de l’ensemble des données disponibles et sur la collégialité. Cette réflexion peut conduire à la décision de ne pas opérer, et à proposer d’autres solutions thérapeutiques associées à des mesures d’accompagnement et de soins. Une telle décision expose en retour au risque d’abréger la vie du patient. Ce risque, dont il faut avoir conscience, ne rend pas pour autant adaptée la décision d’opérer.
Il est donc nécessaire d’affiner l’analyse de la balance bénéfice-risque, en prenant en compte des bénéfices attendus moins évidents et des risques non immédiats mais importants pour le devenir du patient.
Le raisonnement éthique est fondé sur la discussion de l’ensemble des données disponibles et sur la collégialité
a Pôle d’anesthésie-réanimation, CHU de Besançon
b Pôle anesthésie-réanimation-Samu, CHU de Rouen
c Service de réanimation pédiatrique, CHU de Marseille
Les auteurs sont membres du comité d’éthique de la Société française d’anesthésie et de réanimation
Vaccination, soutien aux soignants, IVG : le pape François et la santé, un engagement parfois polémique
« Je fais mon travail de médecin » : en grève de la faim, le Dr Pascal André veut alerter sur la situation à Gaza
Après deux burn-out, une chirurgienne décide de retourner la situation
La méthode de la Mutualité pour stopper 2,4 milliards d’euros de fraude sociale