Un médecin une vie
ENTRE UNE MISSION en Haïti en janvier, une autre programmée à Gaza en décembre, l’agenda 2010 du Dr Jacques Bérès aura été exceptionnellement hexagonal : maintenant qu’il n’exerce plus à Paris comme chirurgien esthétique, il a pu s’investir à fond au sein de l’association Les Enfants du canal, qu’il préside, en supervisant maraudes, équipes de jour et autres programmes d’accompagnement de personnes à la rue, dans le sillage des Don Quichotte, dont il fut le médecin. Mais cet humanitaire en Île-de-France n’épuise pas sa vocation. « Si l’occasion se présente, je m’envole demain matin pour Médecins du monde ou Aide médicale internationale, lance-t-il, sans l’ombre d’une hésitation ». Barbe et chevelure blanches patriarcales, visage buriné, corps mince et nerveux, gestes pleins d’assurance et d’énergie, à presque 70 ans, il assume toujours et encore sa réputation, celle d’un médecin humanitaire trompe-la-mort, que les théâtres d’opération les plus exposés n’ont jamais empêché d’exercer sa spécialité à haut risque de chirurgien de guerre.
C’est au Kurdistan, en septembre 1974, que survint l’épisode qui lui a valu sa légende. « Max Récamier, Bernard Kouchner et moi nous dirigions en voiture vers Téhéran, malgré le couvre-feu absolu. Un petit avion irakien s’est mis à nous survoler et a ouvert le feu. Tous les occupants de la voiture ont couru se jeter dans les fossés à l’entour, tous, sauf moi, qui n’ai pas bougé. Et quand l’avion s’est éloigné, Bernard, sidéré par mon attitude, m’a traité de trompe-la-mort. Depuis, l’étiquette m’est restée. » Mais Jacques Bérès proteste. Il jure que c’est lui qui avait fait acte de prudence. « En fait, explique-t-il, il faut se rappeler que le point le plus visé par un tireur est toujours le moins arrosé. Avec une carabine à plomb, on met autour de la cible, jamais dans le mille. Face aux tirs de l’avion, c’était Récamier et Kouchner qui, en se roulant dans la glaise, avaient pris bien plus de risques que moi ! »
Le regard sauve.
Moyennant quoi, le cofondateur de Médecins sans frontières (avec les deux mêmes et une dizaine d’autres, en 1971) ne nie pas : tel le Vautrin de Victor Hugo, il a en effet trompé la mort à quelques reprises. Il a même fait l’expérience d’être fusillé. « Tout a commencé en janvier 1968, raconte-t-il, lors de la fête du Têt, à Saïgon. J’étais coopérant à l’hôpital Grall, seul médecin de garde la nuit où les insurgés ont lancé l’assaut. Comme ça tirait partout, j’ai fait fermer les portes et je bouquinais tranquillement sous un flamboyant lorsque débarqua un camion de blessés envoyé par l’hôpital militaire Cholon, à l’autre bout de la ville. Pendant trois jours, faisant le tri, j’ai opéré sans relâche, tenant debout grâce à des tasses de thé brûlant. Du travail artisanal qui a permis d’en récupérer un certain nombre et qui fut mon baptême du feu de chirurgien de guerre. »
Dans la foulée, comme l’aspirant Bérès tentait de rejoindre Cholon dans une ville à feu et à sang, en s’engageant sur un pont, il croisa deux gamins. « À leurs regards, j’ai compris qu’ils se disaient, tiens, voilà un futur mort. Comme les insurgés s’approchaient, j’ai instinctivement appliqué la technique décrite par Giono dans "le Hussard sur le toit" : ne jamais faire demi-tour quand on est cerné et toujours chercher le regard de l’adversaire. Le regard sauve. C’est ainsi que je me suis retrouvé les mains attachées dans le dos contre le mur des fusillés, au milieu de morceaux de cadavres qui jonchaient le sol. J’ai rassemblé tout mon vocabulaire vietnamien pour un discours-plaidoirie, où j’ai expliqué à ces combattants de la liberté qu’ils allaient commettre une erreur historique en m’exécutant. Ca a marché. »
Contre le risque zéro.
Avec le recul, Jacques Bérès ne se souvient pas d’avoir eu peur. Il cite l’aphorise d’Orson Welles : « L’homme brave ne meurt qu’une fois, l’homme lâche vit des milliers de morts. » « Mais n’allez surtout pas dire que j’ai la baraka, s’emporte-t-il, et encore moins que je suis un allumé ! La vérité, c’est que le danger n’est ni ce que l’on croit, ni où on le craint. Se protéger est affaire de technique et de professionnalisme. Par exemple, explique-t-il, quand je pars, je prévois toujours une phrase codée pour signaler un danger imminent à mes équipiers, sur le mode : "Mes chers compagnons de Médecins du monde, je pense que ce monsieur a complètement raison et que nous allons le suivre" veut dire qu’on est en présence d’un assassin et qu’il faut dégager de toute urgence face au danger. À l’occasion, ce code nous a sauvé la vie. C’est en mettant en œuvre ces moyens que j’ai toujours ramené à la maison mes équipiers. Quand on déplore des pertes, c’est qu’on a commis des erreurs humaines, comme au Rwanda ou au Timor. »
Quand on l’entend, en janvier 2009, sur toutes les radios et télés, seul Français présent dans la bande de Gaza alors sous les bombes, à l’hôpital Nasser de Khan Younes, il estime donc qu’il ne prend « pas de risque particulier ». D’ailleurs, un seul regret l’anime : n’avoir pas eu la possibilité de mettre en œuvre à grande échelle la méthode Bérès en tant que directeur de la sécurité d’une ONG. La colère le prend alors contre « cette doctrine du risque zéro qui sévit maintenant partout et qui fait que les grandes associations ont abandonné des pays entiers à des situations épouvantables, comme la Tchétchénie, ou le Soudan ! »
La vraie médecine.
Moyennant quoi, la passion qui l’anime depuis la fête du Têt 1968 n’est pas retombée. Quarante ans et quelque cinquante missions plus tard, la période des grandes illusions idéologiques est bien révolue, les statues de sa jeunesse, Ho Chi Minh, le Che ou Fidel Castro, sont en morceau. Le temps où, à la khâgne de Louis-Le Grand, avec ses copains Régis Debray, Étienne Balibar ou Paul Thorez (le fils Maurice), il refaisait le monde, s’adonnait aux grandes constructions philosophiques et intellectuelles, est bien révolu, non sans nostalgie. Mais la flamme humanitaire n’a pas vacillé. « C’est la vraie médecine. Quand vous opérez un gamin qui a les tripes à l’air et que vous le voyez cavaler quinze jours après, c’est à pleurer de joie. En mission, il faut se lâcher devant toutes ces expériences bouleversantes et merveilleuses faites tous les jours. On se dit que si on n’est pas là, personne ne soignera ce mec qu’on est en train d’opérer, et qu’il mourra. Aucune pratique médicale n’égale l’humanitaire. L’humanitaire, c’est génial. »
Quant à la chirurgie de guerre humanitaire, « longtemps décriée et jugée ringarde, elle est enfin revenue à la mode. C’est la spécialité la plus inventive : j’ai opéré des centaines et des milliers de blessés par balles ou par éclats d’obus, je n’ai jamais rencontré deux fois le même cas. »
Voilà pourquoi, s’il le peut, le Dr Jacques Bérès s’envolera demain matin. Certains, qui le connaissent de près, murmurent qu’il rêve même de partir un jour pour la mission d’où il ne reviendra pas. « Je me ferai peut-être descendre un jour », lâche le Dr trompe-la-mort. Il dit son admiration pour Michel Germaneau, l’ingénieur humanitaire français de 78 ans dont Al-Qaïda Maghreb islamique a annoncé l’exécution en juillet dernier.
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