C'est une vaste enquête* inédite qui s'attaque comme jamais au tabou du sexisme et du harcèlement au cours des études médicales.
Baptisée « Hey Doc, les études médicales sont-elles sexistes ? », pilotée par l'Intersyndicale nationale des internes (ISNI), elle révèle que près de 9 % des internes ont déjà vécu une situation de harcèlement sexuel et que 68 % d'entre eux (61 % de femmes et 7 % d'hommes) se déclarent victimes de sexisme au quotidien dans leurs études.
Près de 3 000 internes (dont 75 % de femmes) ont répondu au questionnaire en ligne, un panel significatif. L'objectif était de « dénoncer ces discriminations et d’en comprendre l’impact sur les choix de carrière et sur le quotidien des jeunes médecins », explique Alizée Porto, vice-présidente de l'ISNI en charge du droit des femmes.
Dans un cas sur deux, le médecin supérieur hiérarchique est en cause
Premier enseignement, donc : le harcèlement sexuel caractérisé concerne 8,6 % des sondés (6,6 % de faits déclarés en tant que victime, 2 % de harcèlement non déclaré mais avéré). Mais 34 % d'internes disent parallèlement avoir été exposés à des attitudes connotées (au moins une fois ou quelquefois), ce qui porte l'ensemble des étudiants concernés peu ou prou par le harcèlement à 43 %.
Parmi ces internes en situation de harcèlement, 50 % font état de gestes non désirés, 15 % de contact physique non désiré, 14 % d'une demande insistante de relation sexuelle, 12 % de chantage à connotation sexuelle et 9 % de simulation d'acte sexuel.
Les auteurs de ces agissements sont à 48 % le médecin supérieur hiérarchique (dont 10 % le chefs de service), à 28 % des confrères sans supériorité hiérarchique et à 15 % du personnel soignant. Le patient lui-même ou sa famille est auteur dans 9 % des cas.
La dénonciation reste très rare, souligne l'enquête. « Dans 0,15 % des cas seulement, une procédure judiciaire a été initiée », souligne l'ISNI. Dans près de 30 % des cas, le harcèlement n'est pas verbalisé.
Gestes banalisés
Au-delà des faits de harcèlement les plus graves, c'est le sexisme ordinaire (blagues douteuses, remarques stigmatisantes, etc.) qui gangrène les études médicales. Ainsi, « 60,8 % des femmes se déclarent victimes de sexisme contre 7,20 % des hommes. Le sexisme quotidien est donc présent tout au long des études », insiste l'ISNI qui cherche à réveiller les consciences.
Pire, si l'on cumule ces cas où l'interne se déclare lui-même victime (47 % des sondés) et les situations où l'interne subit du sexisme sans se déclarer comme victime (39 %), très peu d'étudiants sont totalement épargnés par le sexisme au quotidien à l'hôpital. Pour illustrer un cas de sexisme, le syndicat s'appuie sur l'exemple d'un patient venant d'être ausculté par une interne femme et qui demande à voir un médecin.
« Ce qui me choque, ce sont non seulement les pourcentages élevés de victimes mais surtout les personnes qui ne se rendent pas compte. Ils ont banalisé les gestes, les paroles et remarques », commente Alizée Porto (ISNI).
Là encore, les auteurs de sexisme sont d'abord le médecin supérieur hiérarchique de l'étudiant (37 %, surtout le chef de service), puis le personnel soignant (33 %), un confrère (16 %) et le patient ou sa famille (14 %).
Le sexisme se niche aussi dans la relation médecin/malade. « Après s'être présenté, avoir expliqué au patient sa pathologie et l'avoir examiné, le patient va demander de voir le médecin dans 7,1 % des cas s'il s'agit d'un interne homme, contre 60,6 % des cas s'il s'agit d'une interne femme », cite l'étude.
Au bloc, dans les services, en cours...
Ce sexisme au quotidien se pratique très majoritairement à l'hôpital, au bloc opératoire (25 %) ou lors d'une visite hospitalière (22 %). Dans les services, c'est une forme de routine : 88 % des internes déclarent avoir été témoins de blagues sexistes dont 35 % de manière répétée.
Autre conséquence, plus méconnue : l'impact sur la carrière hospitalo-universitaire. Ces comportements influencent les choix « dès l'orientation vers une spécialité ou un lieu d'exercice », peut-on lire.
Le syndicat observe aussi une différence significative sur l'accès à des postes de recherche pour les internes victimes de sexisme. « Nous avons reçu des commentaires en rapport avec la grossesse comme "pour avoir un poste il ne faut pas tomber enceinte" et cela joue sur le choix de la carrière hospitalo-universitaire », insiste Alizée Porto. De fait, l'étude met en évidence le plafond de verre, autrement dit la difficulté d'accès aux postes à responsabilité pour les femmes.
Contexte lourd
L'enquête de l'ISNI tombe à point nommé dans un contexte où le harcèlement sexuel est sous les feux des projecteurs depuis les révélations autour de l'affaire Harvey Weinstein qui a conduit à une libération de la parole.
Peu d'études scientifiques traitent encore de ce sujet tabou. En 2016, une étude américaine publiée dans le « JAMA » montrait qu'une femme médecin sur trois avait été victime de harcèlement sexuel durant ses études ou au cours de sa carrière. En France, le blog « Paye ta blouse » publie les témoignages de sexisme en milieu hospitalier et offre un exutoire salutaire aux carabins.
* Enquête confidentielle et anonyme menée en ligne entre le 2 septembre et le 16 octobre 2017. 2 946 réponses complètes d'internes en médecine ont été reçues dont 2 214 de femmes (75 %) et 732 réponses d'hommes (25 %). Parmi les sondés, 55,7 % sont dans des spécialités médicales, 28,9 % en médecine générale et 15,4 % dans des spécialités chirurgicales.
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