DANS LA NUIT de vendredi à samedi dernier, entre 2 et 3 heures du matin, un jeune homme de 22 ans, militaire de profession, s’est donné la mort devant son ordinateur et en direct sur Internet. Lors du passage à l’acte, ce dernier échangeait dans un salon de discussion – un « chat » – dénommé « psycho » sur le site Internet santé grand public doctissimo.fr. Le jeune homme a mis fin à ses jours à l’aide d’une carabine au moment où il discutait avec un internaute, qui a assisté au sinistre spectacle. « C’est la première fois sur Doctissimo que quelqu’un dit "je me suicide" et le fait. (…) C’est semble-t-il la première fois en France », déclare Christophe Clément, directeur général du site. Ce genre de passage à l’acte reste évidemment très rare et avait été précédemment médiatisé en 2008, lorsqu’un jeune Américain de 19 ans était décédé par surdose de médicaments, en direct devant 1 500 internautes connectés à sa chaîne vidéo créée sur le site Internet Justin.tv. « Les gens savent bien que, quand quelqu’un arrive sur un chat ou un forum, chez Doctissimo ou n’importe où, allume sa webcam et dans les deux minutes se tire une balle, personne ne peut rien y faire », indique Christophe Clément.
Hors Internet, le suicide ou tentative devant témoin n’est pas nouveau. « J’ai eu affaire à de cas de personnes qui vont se pendre et qui donnent un rendez-vous à quelqu’un pour passer à l’acte au moment de son arrivée. », évoque le Dr Jean-Jacques Chavagnat, psychiatre au CH Henri-Laborit (Poitiers), par ailleurs président du Groupement d’études et de prévention du suicide (GEPS). « Certains individus ont besoin à ce moment de s’adresser à l’autre. C’est assez rare, mais cela arrive. Dans le cas du jeune homme, celui-ci est également passé à l’acte devant sa webcam pour montrer aux gens sa détresse », poursuit le Dr Chavagnat.
« Ce n’est pas comme ça sur un coup de tête que l’on met fin à ses jours. Et d’une manière générale, les personnes qui arrivent à l’état de crise suicidaire peuvent être amenées à douter lorsqu’elles ont affaire en face d’elle à quelqu’un de solide, ce qui permet de gagner un peu de temps », explique le psychiatre. « Quand on nous appelle à l’hôpital dans ce type de situation, le SAMU repère le numéro et l’on peut envoyer quelqu’un pour tenter de récupérer la personne pendant qu’on la tient au bout du fil. » Il existe par ailleurs un portail Internet public de signalement d’actes en tous genres – www.internet-signalement.gouv.fr – relié à la cellule de veille de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Ce service reçoit chaque semaine près de 2 000 alertes émanant d’internautes ou de modérateurs de réseaux sociaux. Par ce biais, les services de la police ont pu venir en aide en 2010 à plus de 180 personnes ayant fait part de leur désir de suicide sur Internet. Mais tout le monde ne connaît pas ce service et il est parfois presque impossible d’intervenir dans les temps.
Plus de 570 000 visites par jour.
Après le décès du jeune Français, Doctissimo a « provisoirement » désactivé les services « webcam » au sein de ses salons de discussion. Si rien ne peut totalement empêcher ce genre de suicide « partagé » via Internet, beaucoup peut encore être réalisé au niveau des outils de prévention, en particulier en renforçant les moyens de veille des modérateurs qui chapotent ces forums et chats. « Dans les chats et forums psycho, on va parler de ses problèmes avec des gens qui vont souvent tout aussi mal que vous. Dans ces échanges, il y a une sorte de rumination des termes dépressifs et du désespoir qui monte petit à petit, sans s’apaiser aucunement. Il s’y opère une certaine identification qui peut constituer le déclencheur au passage à l’acte suicidaire », considère le Dr Chavagnat. D’où l’importance pour les responsables de sites de suivre de très près les échanges au sein des forums et chats touchant à l’état mental des individus et qui peuvent rassembler quelques internautes suffisamment fragiles pour être tentés de passer à l’acte durant ou à la suite d’une connexion sur ces services Internet.
Visité quotidiennement par plus de 570 000 personnes Doctissimo est le premier forum santé francophone, avec 240 millions de messages en stock. À peine 5 modérateurs salariés supervisent les échanges en les modérant a posteriori, afin de les rendre « plus vivants ». Les messages postés sont donc « immédiatement visibles en ligne », peut-on lire dans la charte d’utilisation des forums du site. Une soixantaine d’internautes bénévoles s’occupent plus épisodiquement de cette veille. Si des chartes spécifiques à certains forums de discussion existent, avec des messages de mise en garde régulièrement postés par les modérateurs, ce n’est visiblement pas le cas du forum « psycho ». Une consultation rapide de ce forum montre que de nombreux messages évoquant des tentatives de suicide et des souhaits de mourir sont encore en ligne plusieurs mois après leur publication.
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