Depuis plusieurs mois, prestataires de cabines et bornes de téléconsultation s’engouffrent dans la brèche ouverte par les carences de la démographie médicale. Dans les mairies, les résidences seniors, mais surtout en officine : des cabines de consultations à distance fleurissent un peu partout. Au point qu'en Bretagne, médecins et pharmaciens libéraux s’alarment de « possibles dérives liées à l’implantation irraisonnée de télécabines de sociétés privées », soulignent d’une même voix les URPS médecins libéraux et pharmaciens de la région.
Ces derniers mois, ces unions régionales ont été alertées par des confrères de « l’implantation de télécabines en dehors de tout lien avec les organisations et initiatives locales ». Le lanceur d’alerte ? « Un praticien breton, président de CPTS, qui nous a contactés car il a découvert qu’une télécabine s’était installée sur son territoire, alors qu'il faisait pourtant lui-même partie d’une organisation territoriale de télémédecine (OTT) », confie au « Quotidien » le Dr Hubert Le Hétet, anesthésiste et élu URPS de la région.
Illusion
Alors qu’ils s’échinent à constituer des équipes pluripro au sein de leur bassin de vie, les libéraux de santé regrettent que certaines cabines court-circuitent cette organisation territoriale. « La population accède à des consultations à distance quasi instantanément avec des généralistes mais qui, le plus souvent, exercent en dehors du territoire, coupés de tout lien avec les professionnels de santé locaux », se désolent les URPS bretonnes.
Une pratique « sauvage » qui, selon eux, met à mal « le travail engagé par les équipes d’exercice coordonné » et le respect du parcours de soins. « Nous découvrons régulièrement, par hasard, l'existence de ces télécabines hors sol, en dehors de toute concertation territoriale, mais c’est une illusion pour les patients », affirme le Dr Le Hétet. Les URPS craignent que ces implantations anarchiques dans les officines et les collectivités, « décousues de tout dialogue », n’entraînent une dégradation des soins « car réalisés sans suivi de proximité ».
Flou juridique ?
Les URPS ne sont pas opposés par principe à ces dispositifs connectés – cabines ou bornes. « Ce sont des solutions aux soins non programmés mais nous souhaitons qu’elles soient liées à une OTT (organisation territoriale de télémédecine) », détaille au « Quotidien » Anaïs Ghedamsi, chargée de la e-santé pour l’URPS médecins Bretagne.
De surcroît, ces cabines « isolées » contreviennent à l’avenant 9 qui impose une territorialité à l’usage de la télémédecine (sauf exception). « La primauté doit toujours être donnée aux OTT », résume Anaïs Ghedamsi. L’URPS bretonne a donc alerté la Cnam sur le sujet, mais, surprise, « il y a un gap juridique », affirme le Dr Le Hétet. En effet, la plupart des médecins partenaires de la cabine seraient salariés de centre de santé, « ils ne sont donc pas soumis à l’avenant 9 », déplore l’anesthésiste.
« Un scandale soutenu par l’État »
À plusieurs centaines de kilomètres de là, dans l'Indre, la Dr Sylvaine Le Liboux, secrétaire générale de la branche généraliste de la CSMF, dénonce « un scandale soutenu par l’État » autour des télécabines. Elle s’était elle-même mise en grève en octobre dernier pour protester contre l’implantation non concertée d’une borne dans sa ville.
Elle fustige, dans sa lettre syndicale, une « médecine dégradée, au service du mercantilisme d’entreprises qui surfent sur les difficultés d’accès aux soins et abusent le peu de médecins qui se fourvoient dans cet exercice ». Le tout avec le soutien de l’Assurance-maladie qui « aide financièrement les officines à installer ces cabines, au mépris de l’exercice coordonné, au mépris des pharmaciens vertueux ». Le courrier de la Dr Sylvaine Le Liboux brocarde la « carence de l’État qui devrait encadrer les pratiques commerciales ». Tout ça pour aboutir à « des prescriptions d'antibiotiques larga manu, des arrêts de travail à gogo, des demandes quasi-systématiques de revoir un médecin en présentiel le lendemain ».
L'Ordre recadre
Alors que les critiques montent dans la profession, le nouveau Conseil de l’Ordre national des médecins (Cnom) a mis le holà cette semaine « face à des entreprises qui, pour des raisons économiques, veulent aller plus vite que la musique », recadre le Pr Stéphane Oustric, délégué général aux données de santé et au numérique. Lui aussi craint des « actes dégradés » lorsque la prise en charge « se fait sans coordination, sans suivi territorial ».
L’Ordre rappelle régulièrement les règles de l'avenant 9 qui impose non seulement un ancrage territorial de la télémédecine mais aussi un plafond de 20 % de consultations à distance maximum. Un quota de télémédecine que certains voudraient lever, là aussi, comme la société Medadom, mais aussi le syndicat Jeunes Médecins. Là encore, l’Ordre affiche sa fermeté. « Ce taux de 20 %, pour un généraliste en moyenne, ça représente 25 téléconsultations par semaine !, rappelle le Pr Oustric. À ce niveau, ce serait presque un professionnel de la téléconsultation, et cela pourrait poser, à terme, des questions d’insuffisance professionnelle ».
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