Chez le patient âgé dyscommunicant, les signes liés à la douleur peuvent être trompeurs. Il peut s’agir d’une apathie, d’un repli sur soi, d’une anorexie, ou au contraire d’une agitation, d’une confusion ou d’une régression psychomotrice. Souvent attribué à la démence, un cri peut aussi témoigner d’un élément d’inconfort (dont une douleur), qu’il faut rechercher avant de conclure à des vocalises liées aux troubles cognitifs.
Cette douleur est souvent sous-estimée et sous-diagnostiquée en raison de différents biais, dont une certaine stigmatisation des malades âgés dans une société souffrant d’âgisme. Une personne âgée douloureuse atteinte de troubles cognitifs est une personne douloureuse comme une autre, et doit être prise en charge comme une autre.
En pratique, il convient de rechercher un phénomène douloureux plus particulièrement devant toute modification du comportement chez un patient âgé dyscommunicant, avec des moyens adaptés à ses capacités cognitives. Pour cela, il existe des outils objectifs, validés et renouvelables : les échelles d’évaluation de la douleur.
Dans un premier temps, il est toujours préférable de laisser le patient s’exprimer en ayant recours à une échelle d’auto-évaluation. On utilisera l’échelle numérique (EN) ou l’échelle verbale simple (EVS), surtout pour le patient avec une cognition déclinante. L’échelle DN4 pour la douleur neuropathique n’a pas été validée chez le patient âgé présentant des troubles de la communication verbale.
Des outils objectifs
Si l’auto-évaluation se révèle impossible, le soignant peut utiliser des échelles comportementales d’hétéro-évaluation de la douleur. En France, trois échelles sont validées (voir encadré) mais, en pratique, Algoplus est la plus facile d’utilisation. Outil des urgences pour évaluer la douleur chez la personne âgée présentant des troubles de la communication verbale, sa facilité de mise en œuvre permet aussi de l’utiliser en ville, y compris à domicile. Cette échelle repose sur l’observation de cinq items : visage/regard/plaintes/corps/comportements, chacun étant noté 1 ou 0 selon la présence ou non d’attitudes évocatrices. On obtient ainsi un score sur 5. Un score supérieur ou égal à 2 permet de diagnostiquer une douleur. La sensibilité d’Algoplus est de 87 % et sa spécificité de 80 %. Elle est recommandée par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, la Société française d’étude et traitement de la douleur et la Société française de gériatrie et gérontologie.
« Pouls, tension, température, Algoplus » : l’évaluation de la douleur doit faire partie de l’examen standard de la personne âgée dyscommunicante, plaide la Dr Capriz, gériatre.
Mais un score ne fait pas tout. L’évaluation de la douleur chez le patient âgé s’inscrit dans une évaluation plus large que l’on pourrait qualifier d’algo-gériatrique.
Une démarche algo-gériatrique
Une fois le phénomène douloureux objectivé, il faut pouvoir évaluer son impact sur le patient, sa qualité de vie. Comment la douleur retentit sur le quotidien du malade ? A-t-il (elle) des difficultés à marcher induisant un confinement ? Présente-t-il des symptômes dépressifs ? Ces impacts ne sont pas toujours faciles à mettre en évidence chez des personnes qui avaient déjà des capacités physiques et cognitives réduites. Il est possible de s’interroger : que faisait-il (elle) avant, qu’il (elle) ne fait plus ? Et il ne faut pas hésiter à s’appuyer sur les aidants, qui côtoient le patient tous les jours et remarquent des changements parfois minimes mais significatifs.
Il ne faut pas hésiter à s’appuyer sur les aidants, qui remarquent des changements minimes et significatifs
Il est essentiel de traiter ces patients car la douleur a un impact négatif sur la cognition ; elle interfère péjorativement avec la mémoire et l’attention. Et, à cet âge, ce qui est perdu ne se rattrape pas.
Une étude portant sur un groupe de patients âgés souffrant de démence a ainsi montré que l’administration de paracétamol minorait les manifestations de démence (symptômes psycho-comportementaux) en Ehpad et diminuait la prescription de psychotropes.
Il est aussi important de typer la douleur. Ces patients, souvent polypathologiques, peuvent cumuler des douleurs articulaires, neuropathiques, des plaies… qui demandent des traitements différents.
Bien évaluer, c’est donc détecter la douleur mais aussi la catégoriser et rechercher son impact. Si la fréquence des pathologies douloureuses augmente avec l’âge (90 % des patients en institution sont douloureux, 40 à 75 % à domicile), vieillir en souffrant ne doit pas être une fatalité. Contre la douleur du patient âgé peu communicant et ses conséquences délétères, « le généraliste est un déclencheur de prise en charge », conclut la Dr Capriz.
Trois échelles d’hétéro-évaluation sont validées en France :
• Doloplus : centrée sur la douleur chronique, elle nécessite une bonne connaissance du patient
• ECPA (Evaluation Comportementale de la douleur chez la Personne âgée) : conçue pour la douleur autour des soins, elle demande une évaluation avant le soin (douleur de fond) et pendant (douleur procédurale)
• Algoplus : initialement recommandée pour la douleur aiguë, elle s’adapte à presque toutes les situations.
Echelles disponibles sur : https://sfap.org/document/les-echelles-de-la-douleur-adulte-echelles-d-hetero-evaluation
https://www.sfetd-douleur.org/wp-content/uploads/2019/08/algoplus.pdf
https://www.doloplus.fr/
D’après un entretien avec la Dr Capriz, gériatre, PH (Nice) et présidente du Clud (Comité de lutte contre la douleur) de 2016 à 2024
*Échelles téléchargeables en ligne
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