En quoi cette xénogreffe est une révolution ?
Dr Benoît Averland : Cette transplantation est une première mondiale dans la mesure où, jusqu’à présent, la seule xénogreffe de cœur à avoir été tentée au cours d’une procédure encadrée concernait une fillette, qui avait reçu un cœur de chimpanzé et survécu quelques semaines seulement. La médecine vient ainsi de faire un grand pas car deux barrières importantes ont été sautées.
La première est la barrière de l’espèce. Le cochon sécrète un type de galactose inexistant dans l’espèce humaine, à l’origine chez l’Homme d’une réaction immunitaire importante et d’un rejet hyperaigu. Cette différence entre les espèces a été gommée grâce à CRISPR-Cas9 : ces ciseaux à ADN ont empêché des cochons de produire l’antigène et permis d’obtenir des organes proches, sur le plan immunologique, du cœur humain.
Le second obstacle était infectieux. Car le risque, avec les xénogreffes, concerne la transmission de pathogènes, et en particulier de rétrovirus, de l’animal à l’Homme. En pleine pandémie d’origine zoonotique, des séquences d’ADN du cochon correspondant à des rétrovirus endogènes ont été retirées.
Pourquoi un cœur de cochon ?
Dr B. A. : On aurait pu imaginer utiliser un cœur de chimpanzé ou de babouin, génétiquement plus proches de l’être humain. Cependant, morphologiquement, le cœur de cochon ressemble plus au cœur humain. De plus, les primates sont porteurs de rétrovirus très nombreux et moins bien connus que ceux du cochon, animal domestique qui accompagne l’aventure humaine depuis des millénaires. Le choix d’un grand singe apparaît également moins pertinent en vue d’un recours plus courant à la xénogreffe : nombre d’espèces sont protégées, et se reproduisent et se développent lentement.
Quant au choix de l’organe, cet automne, l’équipe de Baltimore avait réalisé un essai préliminaire de xénogreffe non avec un cœur mais avec un rein de cochon modifié. Cependant, la greffe de rein est connue pour sa grande immunogénicité. Les greffes hépatiques ou pulmonaires s’avèrent, elles, extrêmement complexes sur le plan chirurgical. Ainsi, le cœur, par ailleurs fortement chargé symboliquement, apparaît comme un bon candidat pour débuter la xénogreffe.
Quelles perspectives cette première ouvre-t-elle ?
Dr B. A. : Avec la xénogreffe, on repousse un peu plus loin les limites de la vie. Aujourd’hui, la greffe repose sur la solidarité entre individus. Ce qui, malgré un aspect humain indéniable, induit des limites. Avec la xénogreffe, on pourrait gagner en rapidité, en souplesse.
Cependant, des questions médicales se posent. D’abord, il reste à surveiller ce premier patient. Certes, le rejet hyperaigu a été évité. Mais, s’il y a de bonnes chances pour que le sujet vive des années sous traitement immunosuppresseur, la recherche se poursuit : il est difficile de prévoir l’évolution exacte de la greffe.
En outre, cette xénogreffe interroge l’allocation médicale des greffons. En France, nous ne pratiquons pas la même greffe qu’aux États-Unis : nous, latins, acceptons les transplantations compassionnelles, tandis qu’outre-Atlantique, l’opération est rarement tentée face à une probabilité d’échec trop importante. Ainsi, faudrait-il réserver ces greffons de porc à des transplantations à haut risque d’échec ? Au-delà de cette question, d’autres problèmes éthiques se posent.
Qu’en est-il justement sur le plan éthique ?
Dr B. A. : Un premier questionnement concerne le bien-être animal. Qu’en pensent les défenseurs de cette cause ?
Interrogeons également les malades : accepteraient-ils un cœur animal ? L’impact psychologique de la greffe interhumaine est-il moindre, sachant que nombre de patients rapportent des difficultés lors de l’anniversaire de leur greffe, commémoration de leur renaissance comme du décès de leur donneur ?
Il serait souhaitable que la société s’empare de ces questions. Car la greffe ne relève pas d’un combat superflu pour la vie éternelle mais d’une lutte pour la vie tout court. Par ailleurs, notre souveraineté sur un éventuel produit de santé est en jeu. En effet, alors que des élevages de cochons modifiés émergent aux États-Unis et en Chine, les recherches restent à l’arrêt en Europe depuis les années 1990 et la crise de l’encéphalopathie spongiforme bovine.
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